Chapitre 3: Le grand départ

1.6K 196 89
                                    

Les deux dernières lunes ont été inhabituellement animées au manoir. On aurait dit des fourmis ouvrières qui travaillaient sans répit. Je semble être la seule personne si peu enthousiaste à l'idée d'effectuer ce grand voyage.

Il a été convenu par mon père que le voyage se fasse par la mer, il est moins périlleux et plus rapide de descendre les collines jusqu'aux côtes que de traverser le massif d'Ursaa. Une fois sur le littoral on prendra l'un des navires de la garde royale, escortées par une partie de ses soldats puisque les obligations de mes parents dans la contrée ne leur permettent pas de nous accompagner. Ils nous rejoindront un peu plus tard, lors de la célébration. Cette nouvelle m'a fait l'effet d'un seau d'eau froide en pleine figure, moi qui comptais sur le soutien de ma mère, je n'aurais que ma sœur pour m'épauler.

Donc pour en revenir au voyage, on traversera ensuite la Baie d'Opale. J'avoue être curieuse de voir ce à quoi elle ressemble, moi qui n'ait jamais quitté nos terres. On raconte que l'eau est d'une blancheur laiteuse, scintillant au moindre rayon de lumière. Elle aurait inspiré de nombreux tableaux, dont un accroché  dans l'un des murs de ma chambre.

De l'autre côté des calanques s'étale la contrée centrale de Llyrh, Agraamh. Rien que d'y penser j'ai un nœud en plein milieu de la gorge, car c'est là-bas que mon destin sera scellé à tout jamais.

Hier, j'ai profité de l'agitation générale due aux derniers préparatifs pour m'éclipser. Je tenais à dire adieu à ma vieille amie. Mon griffon adoré, mon cœur s'est brisé une nouvelle fois en lui disant au revoir. Elle a émis un cri à en déchirer mon âme comme si elle était consciente qu'on ne se reverrait peut-être plus jamais, ou du moins avant un bon moment. Cela a été l'une des choses les plus dures que j'ai dû endurer dans ma courte existence.
Comment m'habituer à un monde totalement différent du mien? Comment renoncer à tout ce qui m'entoure et que je n'aurais plus désormais? Je leur en veut, oui, je les déteste de m'arracher à tout ceux que j'aime, à tout ce qui me fait sentir vivante. Aujourd'hui j'ai l'impression d'être une coquille vide, une poupée de chiffon que l'on manipule à sa guise. Je suis certaine de ne pas avoir complètement tort.

Me voici devant le pas de la porte de la maison qui m'a vue grandir, faire mes premiers pas, dire mes premiers mots, celle qui a accueillie mes premiers chagrins. Ma seule consolation est que finalement Annie est du voyage, tout comme la femme de chambre d'Elenna, un visage familier qui me fera le plus grand bien.

_ Ma demoiselle ?

La douce voix d'Annie me ramène au présent. Son regard m'indique qu'elle n'est pas plus enchantée que moi de quitter Ursaa, égoïstement cette pensée me réconforte.

_ Il est temps..

Je hoche la tête et regarde une dernière fois mon foyer avant de m'avancer vers le carrosse où ma sœur et nos parents nous attendent déjà. Ma mère tamponne avec émotion ses joues, mon père, lui, a un regard indéchiffrable que je m'entête à éviter. Je m'avance tranquillement, mon visage serein n'est que façade, tout un tas d'émotions contradictoires se bousculent dans mon esprit.

Ma sœur leur dit au revoir, ma mère verse ses larmes et mon père la réconforte. Tel un automate je m'avance vers eux imitant Elenna, puis pénètre dans l'habitacle m'installant face à elle et Lucie, sa camériste. Annie prend place à ma droite et glisse mes doigts entre ses mains chaudes et ridées, dans un geste réconfortant.

_ Ça va aller Anya, je vous le promets.

Son ton se veut apaisant, mais pour le moment je suis incapable de trouver un quelconque réconfort dans ses paroles. Mon regard se perd au-delà de la vitre, dans l'épaisseur de la forêt et alors que notre voyage débute, je crois entendre un cri de tristesse provenant des hauteurs enneigées.

Les Chroniques de Llyrh - Partie 1 (Sous contrat d'édition )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant