F 49 J

La traversée

Lorsque je me réveillai, Simon était allongé sur moi. Thibault dormait lui-aussi, toujours accroché aux rames. Pourtant, la lumière était intense malgré les nuages. Il fallait profiter au plus vite de la mer calme pour atteindre les côtes anglaises avant la nuit. Je réveillai alors mes deux amis.

- On est où ? demanda Simon, ébloui par la lumière.

- En route pour la liberté ! s'exclama Thibault avec un enthousiasme qui contrastait avec ses yeux fatigués. 

Alors que mes camarades recommençaient à ramer, je me rendis compte que j'avais toujours la miche de pain dans mes bras. Je décidai de la partager en trois.

- Écoutons la radio, il doit y avoir du nouveau, lança Simon qui se précipitait déjà sur le poste.

Malgré le faible signal, nous comprîmes que Paris avait été déclarée "ville ouverte" devant l'avancée de l'Armée Allemande et que le gouvernement s'était réfugié à Tours.

Nous nous regardâmes tristement mais nous savions que cela devait arriver. Notre professeur d'Histoire, M.Berg, nous avait prévenu. C'est lui qui nous avait conseillé de rejoindre l'Angleterre si l'on ne voulait pas être envoyé dans les usines d'armement allemandes. Il avait insisté sur le déséquilibre entre l'efficacité des Panzers de la Wehrmacht et la vétusté de nos tanks, en citant l'ouvrage d'un certain De Gaulle. Le lendemain, il partait pour Londres. Nous avons donc suivi son conseil.

- Je me sens coupable de fuir le pays, lâcha Simon.

- On ne peut rien faire, le rassura Thibault. On n'a pas l'âge de combattre. Et puis tu es polonais.

- Ma mère est française ! Et puis beaucoup de Polonais ont rejoint la légion étrangère pour continuer la lutte en France.

- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire...

Mais leur conversation fût interrompue par un éclair. Des nuages noirs se formaient et nous décidâmes de décrocher la voile afin d'y envelopper nos bagages. Bientôt, un torrent de pluie se déversait autour de nous. La mer s'agitait peu à peu, ballottant le canot et les vagues en léchaient les bords.