Aza X Lewis

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Aza lisait au coin du feu, enfoncée entre les coussins de l'un des sofas de la salle commune. Une épaisse couverture violette recouvrait ses jambes serrées l'une contre l'autre, un livre posé sur ses genoux retenu par ses petites mains. Plongée dans sa lecture, émerveillée par les mots, elle se réchauffait devant le feu crépitant doucement dans l'âtre de la cheminée. Un doux arôme de flammes combinées à la fleur de jasmin infusant dans la tasse fumante de la jeune-fille plânait au dessus de sa tête. Tout était calme. Parfaitement paisible, comme arrêté dans le temps. On pouvait presque apercevoir un nuage bleuté s'étendre dans la pièce.
En clair: Aza était bien. Si bien plongée au coeur des mille et une nuits qu'elle ne remarqua pas l'être se glissant à son côté sous la couverture, muni du même ouvrage que le sien.
"Salut Azaëlle en entier..." murmura Lewis à son oreille.
La serdaigle sursauta et referma brusquement son roman sans prendre la peine de marquer sa page.
"Bon sang Lewis! Tu m'as fait peur, et perdre le fil de ma lecture aussi!" répliqua-t-elle avec une pointe d'agressivité.
"Excuse-moi Aza, j'ai pas voulu te faire peur. Mais ta compagnie et celle de Shéhérazade me manquaient terriblement. J'avais besoin de te sentir près de moi. Après tout, tu es un peu ma princesse d'orient." reprit Lewis avec un clin d'oeil volontairement charmeur. Azaëlle leva les yeux au ciel en rosissant légèrement.
"La littérature te perdra, Lewis. Tu te transforme en beau parleur."
Il rit de cette voix claire presque enfantine qui lui était propre et replaça la pâquerette ornant ses cheveux caramel.
"Non Aza, mes fleurs me perdront. Ce sont elles qui me donnent cet air romantique. Mais c'est vrai, tu es ma princesse d'orient. Un jour je t'emmènerai dans le désert et t'y offrirai une rose, synonyme de notre amour. Une rose rouge dont les pétales seront plus douces que la peau d'un bébé et les épines plus piquantes que les crocs d'un crocodile. Une rose."
La jeune-fille baissa la tête et rit. Elle aimait ce Lewis là, avec ses fleurs et son infantilité. Cette petite étincelle joyeuse qui allumait ses yeux marron et cette odeur fraîche et fleurie qui enveloppait son corps tout entier comme une brise automnale fait voler les feuilles des arbres. Mais Lewis, lui, ne les faisait pas tomber. Il leur offrait un souffle nouveau et les portait dans leur folle course vers le ciel.
"Je veux bien être ta princesse. Mais tu m'as fait perdre ma page. C'est une faute grave, très cher."
"Tu as raison, c'est indigne d'un partenaire de lecture tel que moi. Que puis-je faire pour toi, Shéhérazade de mon coeur?"
Azaëlle ferma les yeux et réfléchit quelques instants.
"Me raporter un pissenlit. Pour ne plus perdre le fil de ma lecture. Je m'en servirai de marque-page. Cela devrait raviver quelques souvenirs."
Le jeune-homme sourit à l'évocation de ce doux après-midi de mai de leur première année. Les examens approchaient mais les esprits des deux enfants se souciaient de choses bien plus légères en ce milieu de printemps. Alors seulement amis, ils couraient dans le parc, sur l'herbe rase tapissée de petites taches colorées. Azaëlle tentant de récupérer son livre, Lewis trop passionné par le roman de son amie pour le lui rendre. Alors elle trébucha et tomba nez à nez avec cette jolie fleur jaune si peu appréciée des jardiniers. Elle l'arracha au sol terreux et l'examina là, couchée sur le sol. Une idée lumineuse venait de germer dans son esprit.
Elle s'était relevée et approchée doucement de Lewis ayant alors abandonné toute tentative de fuite trop absorbé par les mots. Un petit pli barrait son front d'ordinaire totalement lisse. Azaëlle avait alors glissé le pissenlit entre les pages du roman et avait récupéré son bien.
"Comme ça, tu pourras reprendre ta lecture plus tard" avait-elle dit en pointant du doigt le trèfle marquant son propre arrêt.
Lewis sortit alors de la salle commune, une pensée pour ce pissenlit, et rejoignit le parc où il entreprit de dénicher l'une de ces fleurs dans l'obscurité de la nuit. Ce n'était point chose aisée mais cela amusait le garçon qui devait forcer sur ses yeux fatigués afin de distinguer le sol à ses pieds. La lune était masquée par quelques nuages teintant le ciel d'une lueur métallique. 
Après plusieurs minutes de recherche, son oeil fut attiré par une touffe blanche entre les herbes. Un pisssenlit. Un pissenlit blanc que l'on souffle en faisant un voeux. Les petites pétales de la fleur s'envolaient alors vers les nuages et transmettaient le souhait aux astres tout là haut. Un pissenlit plus âgé comme la relation qui l'unissait à Azaëlle. Ce pissenlit là était plus grâcieux, plus grand que la fleur de son souvenir. Il était aussi plus clair, plus pur. Lewis traversa les couloirs en sens inverse pour rejoindre le heurtoir en forme d'aigle, la précieuse trouvaille au creux de ses paumes protectrices. Il répondit avec empressement à l'énigme de l'animal et rejoignit Azaëlle sur le sofa.
"J'ai trouvé le plus beau des pissenlits. Tu peux le souffler si tu veux."
"On dirait une étoile" répondit la jeune-fille émerveillée. "Tu sais, on dirait qu'il rayonne dans la pénombre. C'est magnifique." Un sourire éclairait le visage de Lewis.
Azaëlle souffla le pissenlit et glissa la tige entre les pages de son livre.
"Merci" déclara-t-elle un peu émue.
"De rien Azaëlle en entier"

Dans le canapé avec du théOù les histoires vivent. Découvrez maintenant