Le prix de la liberté

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Etzan s'éveilla au chant énamouré d'un couple d'oiseaux. Il se serait aussitôt rendormi si la mélodie ne s'était interrompue. Avec un grognement de lassitude, il quitta son lit de plumes et se dirigea vers l'entrée de la grotte.

Cette cavité rocheuse tenait lieu de refuge naturel, lequel lui permettait de s'abriter des intempéries. Etzan avait grandi sur un îlot de terre flottant au gré des courants aériens. Depuis que le monde avait été ravagé par le cataclysme ayant entraîné la mort du Soleil, il s'était démené pour survivre au sein d'un milieu qu'il avait appris à appréhender. Par chance, il n'avait jamais eu à affronter la solitude : Jana, une jeune femme lunatique, l'avait accompagné durant toutes ces années. Ensemble, ils recueillaient l'eau de pluie nécessaire à leur organisme, chassaient les oiseaux, les lapins féroces des environs, et veillaient à toute heure, le regard fixé vers le ciel obscur. En quête d'autres terres.

Etzan avait connu trois merveilleuses personnes au cours de son enfance mouvementée. Le professeur Darson, qu'il considérait comme son père, l'avait élevé dans la tendresse. Sa motivation inébranlable avait contribué à tisser des liens forts parmi les membres du groupe. La théoricienne Masgo s'était honorablement occupée de Jana. Elle lui avait brodé des vêtements à sa mesure tout au long de sa croissance et concocté, par sa maîtrise culinaire, une nourriture saine. Quant à l'archer Penka, dont l'humeur bougonne contrastait avec celle de Darson, il avait appris à Etzan et Jana les rudiments du tir à l'arc : l'encochage d'une flèche, l'assurance de ne jamais rater sa cible et les techniques rudimentaires de chasse.

Ces trois acolytes, survivants du cataclysme, avaient fini par trouver successivement la mort. Si Masgo et Penka avaient péri lors de l'une des récurrentes tempêtes tropicales sévissant sur l'îlot, le professeur Darson s'était lui-même donné le coup fatal. Il avait estimé les réserves en nourriture insuffisantes pour trois personnes. Il avait choisi de laisser une chance aux jeunes Etzan et Jana de vivre plus longtemps et peut-être avoir l'opportunité de quitter ce territoire hostile. Depuis leur disparition cependant, la faune céleste s'était développée. Il suffisait à Etzan de partir chasser pour espérer rapporter à la grotte de quoi survivre pendant plusieurs jours.

Ce jour-là, tandis qu'Etzan quittait avec nonchalance son abri naturel, Jana était partie dans les bois en quête d'eau fraîche. L'îlot ne manquait pas de ruisseaux. Leurs lits serpentaient entre les arbres et le relief tortueux pour s'achever dans le vide interstellaire. Etzan s'était toujours demandé si l'eau terminait sa chute sur une terre inconnue. Le ciel invariable conservait son manteau étoilé, parfois éclairci par la lumière lointaine d'un Soleil étranger.

Le chant des oiseaux qui venaient de le tirer de son sommeil reprit sitôt qu'Etzan fût sorti de la caverne. Arc en main, carquois dans le dos, il s'étira de tout son long en soupirant de satisfaction. Une nouvelle journée débutait, de la même façon que les précédentes, et croire qu'un évènement allait chambouler le quotidien semblait risible. Etzan s'était fait une raison : il passerait sa vie sur cette île, tomberait en amour avec Jana et ensemble, ils fonderaient une famille. Que pouvait-il envisager de plus grandiose ?

— Etzan ? Tu es levé ?

La douce voix de Jana résonna à ses oreilles telle une mélodie porteuse de promesses. Sa silhouette gracieuse émergea des buissons. Il la contempla, avec dans les yeux cette lueur d'émerveillement qu'elle seule pouvait embraser. Jana embellissait chaque jour davantage. Sa cascade de cheveux blonds, humides et maculés de terre, encadrait un visage d'une telle finesse qu'on eût dit un portrait dessiné par des mains d'artistes talentueux. Elle portait un bliaud de soie, ample aux manches, serré à la taille, d'une couleur bleue qui lui seyait à merveille. En comparaison, Etzan se sentait miséreux dans son braie rapiécé et sa tunique blanche. Un bâton taillé dans la main gauche, le front couvert de sueur, Jana paraissait dans tous ses états.

[Nouvelle Fantasy / SF] Le prix de la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant