Minhyuk ouvrit la porte de la chambre de son frère, sans frapper, comme d'habitude. Ils avaient une sorte d'accord mutuel implicite qui interdisait ce genre de comportement le soir après manger, mais il faisait grand jour et la chaleur de l'été poussait de toute façon à ouvrir le plus de portes et de fenêtres possibles pour aérer. Changkyun était assis devant son ordinateur, courbé sur le bureau malgré le nombre de fois où Minhyuk lui avait dit de corriger sa posture, un lourd casque sur les oreilles et marquant le rythme d'un doigt tapant le bureau. C'était une vision qui lui était devenue familière depuis qu'il avait commencé à prendre sérieusement la musique et y travailler à chaque fois qu'il avait le temps. Même quand il n'avait pas le temps, en fait. Ses notes avaient progressivement chuté ces dernières années, passant de l'excellence à un douze moyen qui avait accompagné Minhyuk toute sa vie, donc il ne pouvait pas réellement le réprimander. Il venait de passer son brevet de toute façon, et l'an prochain il entrera dans son lycée, bien que lui n'y sera plus. Il marcha jusqu'à lui, et Changkyun leva enfin les yeux, soudain conscient de sa présence, décalant un côté de son casque pour libérer une oreille. Sur son écran, la piste son d'un logiciel de montage terminait de jouer.
"Qu'est-ce que tu fais ?" demanda Minhyuk, intéressé.
"Tu te souviens de la musique de l'autre fois ? J'ai essayé de la mélanger avec ce sample, et je trouvais que ça rend pas mal, alors j'étais en train de le reconstruire. D'ailleurs, je vais sauvegarder avant que ça plante et que je perde tout."
"Ah", fit simplement Minhyuk.
Il n'avait jamais été très doué pour tous les côtés techniques de la production, et son frère le savait, gardant ses explications les plus courtes et claires possibles. Minhyuk passa derrière lui et l'entoura de ses bras pendant qu'il se laissait faire, volonté brisée par des années de conditionnement. Son regard passa sur son bureau, pas exactement rangé mais pas bordélique non plus. Une bouteille presque vide de coca, sans doute trop chaude pour être bue à présent malgré la fenêtre qui laissait passer une légère brise. Un manga solitaire dont il manquait la couverture. Son micro avec un filtre devant, qu'il avait payé avec l'argent durement gagné en travaillant pendant les vacances dans les champs dès qu'il a pu, suivant l'exemple de Minhyuk qui avait aussi commencé jeune pour soutenir son père et travaillait maintenant à mi-temps dans un café.
Il l'avait voulu pendant longtemps, ce micro. Il disait que c'était important pour avoir un bon son, et que son ami Jooheon, un redoublant de sa classe, rappait bien mais utilisait un micro de téléphone et que ça gâchait tout. Depuis qu'il se l'était acheté, des marmonnements filtraient parfois sous sa porte la nuit, et si on écoutait attentivement - ce que Minhyuk avait tendance à faire - on pouvait entendre le même couplet de rap répété de sa voix grave jusqu'à ce qu'il soit satisfait, ce qui n'arrivait pas avant une bonne demi-heure par passage. En parlant de sa voix, ça aurait été un mensonge de dire qu'entendre Changkyun muer n'avait pas été un choc. Il était passé d'une voix douce et innocente à un son profond et caverneux qui faisait vibrer sa poitrine rien qu'à l'écouter. Minhyuk était passé d'enfant à adolescent à la voix un peu éraillée, Changkyun de petit ange à démon majeur. Au moins, ça rendait bien dans ses musiques.
Soupirant de dépit, il reprit son examen du bureau. Un petit tas de monnaie, probablement ce qu'il lui restait après avoir acheté la bouteille sacrifiée à la chaleur hier. Un trousseau de clés avec une petite peluche de chien que Minhyuk lui avait offert pour son anniversaire l'an dernier. Son téléphone, face contre le bois à la peinture usée. Un paquet de mouchoirs. Un paquet de chips. Un carnet à spirale.
Oh, un carnet ?
Il le prit pendant que Changkyun sauvegardait son avancement, feuilletant les pages noircies d'encre et dénouant enfin les bras qui l'étranglaient probablement un peu. Il avait déjà vu cette couverture, il savait que c'était son carnet à idées. Il savait aussi que la dernière fois que quelqu'un avait essayé de lui prendre au collège, il l'avait repris par la force et c'était devenu une véritable mêlée avec les amis puis les amis des amis qui prennaient part au chaos. Heureusement, il était son grand frère, et était un peu plus tolérant avec lui. Dedans, il y avait des lignes de texte, très souvent raturés, soulignés ou avec des annotations incompréhensibles. Des paroles qui sonnaient tellement rap qu'il était sûr de les avoir entendues sortir de la bouche de son cadet, à un point ou un autre. Sur quelques pages, des dessins étranges qui devaient représenter de la musique. Il y avait un peu de solfège, mais c'était surtout des blocs. Minhyuk n'était pas sûr de comprendre, pourtant c'était manifestement très clair pour le propriétaire du carnet. Puis il arriva à une page différente, et fronça les sourcils.
Ces paroles... ça ne ressemblait pas à du rap. Il y avait des refrains, des symboles pour marquer les notes qui devaient être maintenues, tout ce qui était définitivement, immanquablement une chanson. Une chanson qui parlait de barbe à papa, de petits hamsters et de nuits sous la lune dans une fête foraine.
Ses yeux étaient si écarquillés qu'ils auraient pu sauter comme des bouchons de champagne.
"Kkukkungie ?"
"Quoi ?" geignit Changkyun, déjà agacé par le surnom.
"Tu écris des chansons d'amour ?"
Il se retourna si brusquement que le dossier de sa chaise s'enfonça dans le ventre de son frère, le faisant se plier avec un petit cri de douleur et lui laissant le champ libre pour lui arracher le carnet des mains.
"Non mais ça va, de lire mon carnet sans me demander ?!" explosa-t-il, les oreilles rouges.
"Je l'ai fait juste en face de toi !" protesta Minhyuk, se tenant le ventre.
"J'étais concentré, et puis qu'est-ce que tu fais là d'abord ?"
"Et puis je savais pas que t'allais réagir comme ça", continua-t-il sans l'écouter, "Je vais pas me moquer parce que tu écris des chansons d'amour, tu sais que j'adore ça !"
"C'est pas le... tu l'as lue ?"
"De quoi, la chanson ? Pas vraiment. J'ai survolé."
Son visage rouge se calma un peu, puis il se retourna vers l'ordinateur pour ne plus lui faire face.
"Désolé, c'est juste... C'est pas fini. J'aime pas qu'on regarde quelque chose qui est encore en construction."
"C'est pas une raison pour m'agresser, sale gosse", grogna-t-il en donnant une gentille claque sur le haut de sa tête.
"Désolé, c'était un accident."
"Quand ce sera fini, c'est toi qui vas la chanter ?"
"Hein ? Euh... Je, j'ai pas réfléchi jusque là."
"Si tu as besoin d'un chanteur, tu peux toujours demander à Kihyun-"
"NON !" le coupa-t-il un peu trop fort par-dessus son épaule, avant de retourner à l'écran.
"Pourquoi ? C'est un super chanteur, et il a toujours été le meilleur à la chorale. Il pourrait te le faire sans problème, je suis sûr qu'il adorerait enregistrer quelque chose."
"Arrête de parler de ça !" aboya-t-il sans se retourner.
Minhyuk croisa les bras, et sous la pression du silence, Changkyun continua.
"Son, sa voix n'irait pas du tout", se justifia-t-il. "Ce serait horrible. Je veux pas travailler avec lui. Et puis tu devrais même pas être au courant de ça, alors arrête de me faire chier avec."
Minhyuk roula des yeux.
"Pourquoi tu es comme ça avec lui ? Avant vous étiez tout le temps collé l'un à l'autre."
"Avant c'était avant."
"... J'étais venu te dire que je l'avais invité. Il arrive bientôt."
"Cool. Ferme la porte en sortant, merci. Et ne reviens pas. J'ai du travail."
L'aîné secoua la tête, obéissant tout de même.
"Ce que tu peux être con, des fois, Changkyun."
Il ferma la porte.

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Wontokki
FanfictionMinhyuk a un doudou, un joli lapin tout doux qu'il appelle Wonho et l'accompagne partout. Et un jour, il découvre que Wonho est devenu un humain. Un humain qui a beaucoup d'amour a donner.