I. La catin et le fou

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Comme tous les soirs qui tombaient sur Paris depuis un peu plus d'un an, Delaïde attendait.

Les gens passaient devant la ruelle. Les dames vêtues de robes élégantes, bien emprisonnées par leur corset trop serré, au bras d'un homme ; quelques-unes défiaient à leur manière l'autorité patriarcale en portant un pantalon, parfois même en se promenant seule ; les hommes bien habillés, amateurs de théâtre ou trainés de force jusqu'à l'Opéra ; tous feignaient de ne pas voir la prostituée, comme ils ne prêtaient probablement pas attention au mendiant assis un peu plus haut dans la rue.

C'était l'heure la cause du type de passants : le bâtiment de Garnier et le début du spectacle étaient proches. Peu à peu, les badauds auraient moins d'argent en poche et des tenues plus négligées.

Delaïde eut une pensée pour George, le mendiant évoqué. Lui aussi devait avoir envie d'être ailleurs.

Elle se retint de sursauter quand Al l'attrapa par la taille. Elle n'aimait pas ce jeune homme, ni son œil torve, ni son sourire édenté et peu avenant, ni son humour douteux.

Mais elle n'était pas vraiment en position d'être particulièrement sélective dans ses clients.


La nuit fut calme.

Les étoiles au loin, brillaient avec tant d'ardeur que leur éclat perçait le ciel.

Les étoiles étaient-elles libres ? Jusqu'à ce que les nuages les séparent d'elle, Delaïde se posait cette question et cherchait des yeux les constellations, les reconnaissant une à une.

En attendant qu'un potentiel client approche, elle hésita à sortir son poignard pour s'entraîner à le lancer mais n'en fit rien, son « jouet » aurait pu lui faire gagner plus d'ennuis que d'argent.

Un vent frais parcourait les rues et s'insinuait au creux de son cou, dans son décolleté, à travers sa robe, la faisait frissonner.

Delaïde décida de rentrer plus tôt que prévu : l'arrivée des premières gouttes ferait fuir ses derniers clients.


C'est sous une pluie battante qu'elle passa le seuil de la maison.

Elle claqua un peu trop fort la porte et son insomniaque de logeuse fit irruption.

Mme Lemoine la regarda d'un air désapprobateur, mais sans dire un mot.

-Désolée... pour le bruit...

Delaïde enleva ses chaussures boueuses avant de monter les escaliers. Elle avait presqu'atteint le premier palier quand Mme Lemoine ouvrit la bouche et que d'entre ses lèvres sèches sortit :

-Vous n'oublierez pas de payer le loyer.

-Bien sûr, Madame.

Delaïde rentra enfin chez elle et trouva son cousin au milieu d'un nombre important de papiers aux formats variés.

-Déjà réveillé ?

-Hum ?

-Tu n'as pas dormi ?

-Pas le temps.

-Hyppolyte...

-Hum ?

Delaïde soupira, Hyppolyte s'était encore lancé dans un projet qu'il abandonnerait.

Ces trois dernières années, elle l'avait vu passé à plusieurs reprises de la déprime à l'obsession, avant de retourner vers la mélancolie comme si celle-ci était sa meilleure amie avec qui il s'était juste disputé.

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