Cela fait maintenant plusieurs minutes que je marche dans la forêt sans la trouver. J'en aurais hurlé de frustration. Kali avait disparu depuis le lever du soleil, ce qui n'aurait posé aucun soucis si nous n'avions pas eu besoin d'elle.
Je saute au dessus d'un tronc d'arbre me barrant la route puis scrute la pénombre en tâchant de repérer mon amie. La voûte de branches ne laissent filtrer que quelques rayons de soleil mais cela est suffisant pour que je repère enfin une silhouette à la lisière du bois, au bord de la falaise. Kali se retourne en m'entendant approcher:« -Un problème au Camps? me questionne t-elle.
Je hausse les épaules.
-Ça dépends du point de vue. Selon la plupart des Autres, non, mais Ameo affirme que c'est peut-être plus important que cela ne semble l'être.
-Ça? Mais de quoi tu parles? fit elle en fronçant les sourcils.
-Mieux vaut que tu viennes voir et que tu en juges par toi-même. »Elle se mit alors en route pour le Camps au pas de course, intriguée, tandis que j'essayais de la suivre tant bien que mal. Avant que les arbres ne se referment complètement sur nous, je jette un coup d'œil derrière moi pour observer une dernière fois la surface rocailleuse délimitant le Monde.
En effet, notre Monde, à Kali, moi et les Autres, se résume à une île d'environ 50 km2 principalement envahie par une forêt dense et parsemée de quelques prairies. L'atoll finissait en pente douce jusque dans la mer, créant une immense plage de sable blanc, sauf à un endroit, où la forêt s'arrêtait brusquement pour laisser la place à un précipice.
Même si la vue y était à couper le souffle, les Autres évitaient soigneusement ce lieu; Lio, un de nos amis, y avait fait une chute mortelle il y a plusieurs années. On a jamais retrouvé son corps. Depuis, seule Kali ose encore s'y rendre, comme si cet endroit exerçait sur elle une attraction morbide.
Au-delà, il n'y avait rien, à part la mer à l'infini.« -Fais gaffe, me prévint Kali avant d'éviter une branche à notre hauteur.
J'imite mon amie puis la rejoins en quelques enjambées. Kali est petite et musclée. Sa peau cuivrée la fait détonner avec le reste des Autres, mais loin d'être une tare, c'est cela qui fait sa beauté. Ses longs cheveux noirs, qu'elle a attachés en une queue-de-cheval, lui tombent sur les épaules et reflètent le soleil. Elle tourne ses yeux noirs comme des puits d'encre vers moi:
« -J'espère que ce n'est pas encore pour un membre à amputer que vous avez besoin de moi, grimaça t-elle.
Je souris, mais à la remémoration de l'opération chirurgicale, ma bouche se crispe. Quelques mois plus tôt, une mystérieuse maladie avait attaqué une de nos amis, Kiara. Le mal grignotait lentement la vie de son bras, ne lui laissant qu'un membre noir et mort. Pour éviter sa propagation à tout son corps, nous avons décidés de tenter de l'amputer au niveau de l'épaule. Kali avait été tirée au sort pour effectuer la tâche ingrate et, malgré le succès de l'opération, la cicatrisation s'était mal passée et Kiara était morte quelques jours plus tard.
Les arbres commencèrent à se parsemer, et nous aperçûmes l'assemblage hétéroclite de métal et de branches qui constituais les cases dans lesquelles nous nous abritions. Le Camps, comme on l'appelait, était le plus souvent inhabité, puisque nous préférons vivre et dormir dehors; ce n'était donc que symboliquement notre maison.
Les Autres, réunis sur la place centrale, semblent fixer une forme inerte allongée sur le sol. Alors que nous nous approchons, une curieuse puanteur m'emplit les narines et je cherche des yeux sa source. Ne trouvant rien, nous rejoignons nos camarades et nous distinguons enfin l'objet de leur curiosité: un gasbi mourant.
Kali se tourne vers moi et me demande:« -Un gasbi? En quoi est-ce exceptionnel?
Les gasbi sont des créatures dont la taille ne dépasse pas le mètre, campées sur leurs quatre pattes, et dont le pelage ras et brun les camoufle facilement dans la forêt. Leur fin museau et leurs grands yeux témoignent de leur innocence et de leur placidité. Bien que nous nous nourrissons principalement de baies et de fruits, nous ne rechignons pas à ajouter de leur viande au menu lorsque nous en avons l'occasion.
Une de ces bêtes apparaît une fois tous les 3 jours environ, sans que l'on sache d'où elle provienne. En effet, chacun de nous connaît le Monde par cœur, et aucun troupeau de gasbi ne s'y trouve. Nous tombons simplement dessus par hasard. Aucun de nous ne s'est jamais demandé d'où elles viennent, et l'apparition de l'animal est devenu un fait habituel et cyclique.
Clyde réponds à ma place à la question de Kali:
« -Ce n'est pas lui qui est exceptionnel, c'est plutôt... ça.
Tout en parlant, il avait tiré un couteau de sa poche. Il l'approche du ventre de l'animal, qui à présent me regarde de ses yeux noirs et brillants voilés par la souffrance, et le poignarde en plein estomac.
Les yeux noirs se révulsent aussitôt tandis que la vie quitte la bête. Puis, Clyde remonte le long de l'abdomen et dévoile ses entrailles. Aussitôt, la puanteur que j'avais déjà remarquée augmenta brusquement et je manquais de rendre mon précédent repas. Mais je l'oublie immédiatement lorsque je découvre l'intérieur de la carcasse: l'estomac pullulait de bestioles nécrophages qui commencèrent à s'en s'échapper dès que Clyde leur ait ouvert le chemin. J'entendis quelques personnes derrière moi reculer pour réprimer des hauts le cœur. Les viscères du gasbi quant à elle, ne ressemblaient plus qu'à une sorte de bouillie noire et gluante. Même si ce spectacle me répugne, je ne peux me résoudre à détourner les yeux, observant avec une sorte de fascination morbide le déplacement des insectes sur leur repas luisant. Les secondes passent sans qu'aucun de nous n'ose prendre la parole.Enfin quelqu'un dit haut et fort ce que personne n'osait penser:
« -Je rêve ou ce putain d'animal était en train de pourrir de l'intérieur?
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Le Monde
Science FictionUn groupe de 30 adolescents, âgés de 17 ans, vivent depuis toujours dans le Monde, et ne connaissent rien d'autre que cette île mystérieuse. Pourtant, d'étranges événements vont leur faire remettre en question leur perception de l'univers. Et si le...