Chapitre 1, Partie I

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L'espoir est la seule chose plus forte que la peur. C'est la phrase que je suis en train de lire, puis, d'un seul coup, je sens ma tête me tourner, au point de ne plus avoir d'équilibre. Je fais demi-tour et marche à pas lents vers le canapé en titubant. Mon champ de vision se brouille peu à peu, mes oreilles bourdonnent anormalement et mes muscles sont comme ankylosés. Je crois que je tombe lourdement sur le carrelage, mais je ne sens pas la douleur que je devrais ressentir comme si je me trouvais loin, très loin de mon propre corps. Ca recommence...

Je cours après le pigeon. C'est drôle, à chaque fois que je le suis il s'envole pour se reposer sur le sol quelques pas plus loin. Soudain il s'évanouit dans le ciel et je ne le vois plus.

Je regarde autour de moi. Je suis dans une petite rue sombre que je ne connais pas. Un bruit de pas résonne derrière moi et me fait sursauter. Je me retourne et je me fige en voyant un monsieur pas très rassurant qui vient d'entrer dans la ruelle. Il n'a pas l'air très gentil, il me fait peur. Mais... pourquoi je ne peux pas bouger? Je commence à paniquer. Je fixe l'homme tellement maigre qu'il ressemble à un squelette, en partie caché par l'ombre des bâtiments qui nous entoure. Sa manière de venir vers moi m'effraie, il me fait penser aux mannequins de la télé que maman regarde des fois. Ou à Scar au moment où il lâche le papa de Simba.

Pourquoi je n'ai pas écouté maman quand elle me disait de ne pas trainer après avoir fini l'école?! Le monsieur s'approche de moi... Maman, au secours! Je pleure silencieusement et j'essaie de parler, de crier, mais ma bouche ne veut pas s'ouvrir. L'homme s'arrête, sa main touchant la mienne et un froid glacial me parcourt. A présent je peux voir ses os blancs comme du linge ressortir sous son peu de peau, et son crâne entièrement chauve laissant entrevoir des cicatrices sur le visage. Ce qui me terrifie le plus est son visage sur lequel je peux voir un sourire et deux yeux horriblement noirs.

Une douleur intense surgit soudain dans mon cou et puis... plus rien.

J'ouvre lentement les yeux les yeux, encore stupéfaite, et vois ma mère penchée au-dessus de moi, un visage inquiet. Je reprends mes esprits, et me rend compte que je suis allongée sur le canapé. Je sens ma tête qui tourne encore un peu et j'ai encore quelques vertiges.

Ces sensations je commence à bien les connaître malgré moi et a me faire à tout cela, car c'est maintenant mon quotidien. Je les appelle les visions, et elles s'emparent de moi (ou plutôt de mon esprit) quand bon leur semble, ce qui m'empêche de m'y préparer. Mon esprit est en quelque sorte téléporté dans une autre personne, et je vois à travers ses yeux, je ressens à travers son corps et entends ses pensées. Je peux en avoir cinq dans la même semaine, et aucune dans les trois mois qui suivent. La plupart du temps, elles me montrent le passé de personnes que je ne connaîtrais sans doute jamais, mais il m'est arrivée d'assister à des scènes qui se déroulaient au moment présent, et même dans le futur. Ma toute première vision remonte à mes huit ans. Je me souviens de chaque détail et ça me donne encore de frissons rien qu'à y repenser.

Tout le monde croit que ce sont des malaises, car mon corps s'effondre tandis que mon esprit fait je-ne-sais-quoi en m'emmenant voir différentes personnes à différents moments à différents endroits.

- Ça va mieux?

La voix de ma mère me ramène à la réalité. Elle est toujours aussi anxieuse à chaque fois que j'ai un "malaise" bien que j'ai dû en être victime une dizaine de fois par mois maintenant.

- Oui oui, ne t'inquiète pas, je vais bien, je lui réponds avec un petit sourire forcé.

Au bout de dix minutes, j'ai repris pleinement possession de mon corps, qui fait des siennes à chaque détachement comme celui-là. Je me lève et sens quelques bleus un peu partout. Tant pis. Je vais tranquillement manger un morceau de chocolat. Ma mère m'en propose un bout constamment car il paraît que ça remet les idées en place. Moi, je pense surtout qu'il faudrait qu'elle fasse une pause dans ses séries de films, et Harry Potter entre autres. Mais bon, elle est et restera éternellement une fan du monde de J.K.Rowling, donc j'ai un peu laissé tomber (même si je n'en pense pas moins).

Pendant que je grignote, je me demande alors: ce que j'ai vu, c'était du passé, du présent ou du futur? Franchement, j'aimerai pouvoir penser qu'il s'agit d'un passé proche, ne serait-ce que pour me dire que je ne peux plus rien faire pour sauver ce garçon, mais l'ambiance dans laquelle était plongée la scène et l'architecture me laisse penser que ça pourrait très bien être un évènement présent. Et futur? Non je ne crois pas.

J'ai un frisson en me rendant compte que c'est quand même la première scène à laquelle j'assiste où quelqu'un se fait tuer, un enfant qui plus est. Quelle vision glauque...

Tout en réfléchissant, je reprends ce que j'étais en train de faire juste avant: monter en haut, dans ma chambre, tout en dévorant mon livre. En ce moment, je relis les tomes d'une série qui est juste génial à mon goût: "Hunger Games". Lire, c'est mon passe-temps préféré. Quand on est en pleine lecture, passionné par le livre, on a l'impression que rien ne peut vous toucher et que tout ce qui y est écrit est bel et bien réel. Dans cette trilogie, il y a un mélange d'antiquité moderne, de dictature futuriste, de courage, d'amour et de sacrifice, qui la rend juste unique.

Ma mère n'a jamais compris mon goût pour la lecture. D'après elle, les films sont bien plus vivants et réalistes. Et je ne peux pas tellement avoir l'avis du reste de ma famille sur mes passions, vu que mon père et mon grand frère Arthur sont... morts.

Morts.

Ça va faire 3 ans cette année. Je sens les larmes douloureuses me monter aux yeux rien qu'à penser à eux. Ils sont décédés tous les deux, mon père et mon grand frère, noyés au cours d'une tempête alors qu'ils étaient au large avec leurs amis. Ça a été terrible, il n'y a eu qu'un seul rescapé de cet horrible accident sur une vingtaine de personnes. Je n'ai aperçu ce chanceux qu'une seule fois, lors de l'enterrement d'Arthur (papa fut enterré une semaine plus tard). Il pleuvait. C'était un jeune homme à la silhouette longiligne vêtu de noir, dont la capuche recouvrait son visage. La seule chose que j'ai entrevu de lui étaient ses yeux gris car il avait toujours la tête légèrement baissée, comme si il craignait quelque chose. Je ne les ai aperçu qu'un instant, car il s'est empressé de partir. J'ai su à ce moment que je ne pouvait pas le voir, et que je ne pourrai sûrement jamais le voir. Je le déteste. Je ne peux pas m'empêcher de le haïr d'avoir survécu à cette tempête alors qu'elle a détruit ma famille. Je sais que c'est stupide, mais c'est plus fort que moi. Je le vois et je le hais. Je me rend compte soudain que j'ai les mains trempées de larmes et que celles-ci tremblent de colère, et j'essaie alors de me concentrer sur mon livre pour tout oublier.


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