Chapitre 6

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Plus vite, un deux trois, un deux trois, bien, tiens le rythme surtout.

- OK. On s'arrête là pour l'instant.

Je descends de mes pointes et je fonce vers ma bouteille d'eau fraîche. Je la vide à moitié et retire aussi vite que possible mes chaussons qui me torturent. Depuis la blessure de Louis, je m'entraîne 2 fois plus pour que la chorégraphe ne puisse se concentrer que sur lui. Dans quelques semaines, le doctor pourra lui dire s'il pourra reprendre la danse, et il a affirmé que c'était en bonne voie.

Je passe le soir quelques fois, pour lui faire le point sur l'avancement de la chorégraphie.
- Vous avez commencé l'acte III ?

- Non, mais dans une semaine, on aura fini l'acte I donc ça tarde pas, t'inquiète pas. Concentre toi sur ton rétablissement.

- Arrête, je deviens fou à rester ici... Ma mère veut que je bosse à la maison, « c'est mieux pour moi » qu'elle dit. Je suis sûr que c'est pour m'empêcher d'aller danser.

- Avoue que tu le ferais, répliqué-je avec un petit sourire.

- Oui. Mais je m'ennuie à mourir... J'ai regardé trois ballets de la Belle au Bois Dormant en une semaine, et j'ai bien pris le temps d'étudier le personnage de Désiré... Je veux reprendre la danse !

- Plus tu resteras au calme, plus vite tu pourras reprendre, Louis. Sois lucide, retiens toi. Si tu te blesses à nouveau, tu seras pas dans le spectacle. T'as déjà de la chance que tu sois rétabli avant les premières répétions générales.

- C'est vrai. Et toi ? Tu t'en sors ?

Je marque une pause.

- J'arrive pas vraiment à m'auto-juger sur un exercice comme ça.

- Oh. Bah je viendrais te voir au prochain cours alors, je te dirais.

- T'es sûr ? Ta mère t'autorisera ?

- C'est juste pour te voir. Ça ira.

J'acquiesce. Mon Dieu, va falloir que j'assure demain alors. Pas le droit à l'erreur. Question pression, ça se pose là.

Après mon départ, on s'envoie quelques messages, mais il sait que ça ne durera pas, à cause de mes répètes, j'ai plus le temps de faire mes devoirs pendant les permanences, puisque je les passe à la salle de danse. Il doit se sentir si seul. Je sais qu'il va reprendre les cours la semaine prochaine, mais je sais pertinemment que ça sera pas assez pour lui. Il ne sera jamais calmé tant qu'il ne dansera pas. Ça me fait mal de le voir comme ça.

Le lendemain, j'arrive en avance pour répéter de mon côté. Et je vois avec surprise que Louis est déjà là.

- Mais je t'avais pas dit que je venais m'entraîner avant.

- Tu crois que je l'avais pas deviné ? Je veux tout voir, pas juste une petite prestation, c'est pas un gala. Allez échauffe-toi.

- Assis-toi d'abord, je réponds d'une voix ferme.

Il s'exécute pendant que j'enfile mes pointes. A la barre j'effectue des échauffements sous l'œil averti de Louis. Il me pousse à aller plus loin. Après ça, je lui montre la chorégraphie. Évidemment, sans partenaire, ça tourne très vite au ridicule. Surtout qu'il est censé y avoir un porté et en raison de son absence, je suis obligée d'attendre 16 temps toute seule. Je continue après ce grand moment de solitude.

- Alors ? dis-je à la fin de la musique.

- C'était... beau. Beaucoup d'émotion. Tu pensais à quoi ?

- Je préfère pas en parler... réponds-je, un peu gênée.

- Soit. Tu feras gaffe à ton pied quand tu commences les grands jetés, ça fait pas très joli.

- Oui bien sûr... J'ai été... déstabilisée. Je crois.

- Je comprends. Attends.

Il s'approche, à cloche-pied et m'attrape par la taille.

- Oh si tu crois que tu peux me faire faire une valse, tu te fourres le doigt dans l'œil. Pas de danse.

- Roh ça va, ça va pas me tuer de faire un p'tit porté.

- Je participerais pas à ta mort, Louis. Je refuse.

Il soupire. Et semble même presque blessé par mon refus.

- Ne le prends pas mal, je veux que tu reprennes la danse. Mais pour que tu re-danses à nouveau avec moi, il faut que tu acceptes de t'arrêter pendant un temps.

- Oui mais tu sais bien que c'est dur... Imagine-toi clouée au lit pendant une semaine. Ça a un nom ça... quand on force une personne à se priver de quelque chose juste sous ses yeux... Hmm... Attends, je vais avoir le nom... ça y est je l'ai... ah oui. Ça s'appelle de la torture !

Je ris. Quel idiot ! Je sais bien que c'est difficile pour lui, mais bon quand même.

- Arrête un peu, tu préfères être comme ça pendant 2 semaines ou à vie ?

- Tu marques un point. Tu gagnes cette fois mais pas la prochaine Clara.

Je range ma bouteille, mes affaires et part vers les vestiaires.

- Attends-moi !

- Je vais me changer, les hommes sont interdits là-bas.

- Même pas le droit de se rincer l'œil... pourquoi ?

- Parce qu'on fait des sacrifices et si ça se sait... mon dieu ! Que ferons-nous ? Et j'oublie: la plupart des garçons sont automatiquement désintégrés en poussant la porte du vestiaire. Désolée Louis !

Je pousse la porte du vestiaire et jette mes affaires sur le banc. Je me change en vitesse, et je ressors presque immédiatement.

- Wow c'était rapide. T'as cours maintenant ?

- Bah je vais manger d'abord, s'il te plaît, je crève de faim ! Et toi ?

- Bah... Je dois aller manger avec des potes, mais bon, tu manges pas seule quand même ?

- Non non, je rejoins des amies.

- Oh. OK. On se voit demain ?

- Bah je vais en cours, je termine à 18h, je vais pas te cacher que ça va être juste juste, je serais crevée...

Il acquiesce.

- Je reviens en cours, c'est ce que je voulais dire. RDV à 11h30 devant la cantine.

Il part sans se presser après m'avoir fait un signe de la main. Sa démarche clopinante me fait rire, mais je me retiens de peur de le vexer. Je me dirige vers les escaliers pour prendre le chemin du parking commun entre le conservatoire et le lycée.

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