Toi, tu es née d'ivoire et d'argent... Cette vie, cette condition rêvée par des milliers, je suis comme eux, je ne peux que l'imaginer...
Quand toi tu étais dorlotée, bercée au chaud, devant un bon feu de cheminée... Moi je traînais dans les bas fonds, là où la loyauté n'existe qu'entre bandits et brutes du même quartier, là où l'amour n'est qu'une bête à deux dos qu'on tire par les cheveux... Là où ta beauté aurait fané... Bien sûr... Évidemment qu'un bourgeon vulgaire aurait poussé...
Tu n'es pas si différente de nous, sache le, tu es juste plus chanceuse de naissance... Plus parfumée, plus habillée... Et surtout plus fortunée... Mais... Sans la douceur de l'or... Toi aussi... Tu souffrirais de ces interminables nuits d'hiver, de ces engelures qui te creuseraient la peau jusqu'aux os... Comme nous, oui comme nous tu boirais cet alcool infect et répugnant... Le seul compagnon prêt à te réchauffer, ta seule lueur d'espoir... Et bientôt, lorsqu'il te récompenserait de sa chaleur salvatrice, toi aussi tu chanterais ses louanges...
Puis, ce soir là, enfin tu les verras pour la première fois... Tu parleras aux démons et ils deviendront tes amis... Et tu seras faussement soulagée, entourée, rassasiée... Ah oui, oui l'alcool éteint la faim... Oui c'est vrai, c'est la première sensation à remplir tes entrailles depuis trois jours peut être... Et alors, consolée, embrumée, tout doucement tu commenceras à t'assoupir sur le béton glacé...
Allez repose toi, tu n'as pas le choix ! Tu y'es presque et même si tu es un peu raidie tu vas réussir, tu dois t'endormir...
Eh oui... Demain... Il faudra tout recommencer...
