Depuis tant de siècles, les chemins de fers s'alignent et se croisent, emportant en leurs rames des voyageurs d'un jour, d'une nuit ou de toujours. Des centaines et des milliers d'âmes, toutes aussi inconnues et mystérieuses les unes que les autres, s'y côtoient sans cesse le temps d'un trajet. Certaines savent où elles vont, savent ce qui les attend. D'autres se laissent emporter par la vitesse à laquelle les paysages s'enchaînent. Quant à moi, j'étais là, assis sur un siège miteux d'une classe éco', à moitié perdu dans mes pensées. Tout en songeant, j'attendais patiemment.
« Train en direction de Saint Etienne. Départ prévu à 18h35 ».
La voix me provint des haut-parleurs, fixés à quelques recoins de la voiture. Je jetai un coup d'œil à ma montre : 18h30. Encore cinq minutes à attendre. Accoudé à la vitre, je regardai la foule s'agiter et pénétrer dans leurs trains respectifs. Sur le quai, un couple s'embrassait une dernière fois avant le départ. Un ultime baiser avant que les SMS ne remplacent la présence de l'être cher. Plus loin, une jeune femme versait de chaudes larmes derrière le hublot : elle saluait une vieille dame postée de l'autre côté qui, s'appuyant sur sa canne en bois, lui faisait de grands signes en retour.
Des bruits de pas se firent entendre ; je me retournai vivement. Une religieuse, vêtue de la traditionnelle tunique cintrée, et le chef recouvert d'un voile blanc, entra dans le wagon. Elle me demanda poliment si la place jouxtant la mienne était libre. J'acquiesçai, elle posa le sac à dos rouge qu'elle transportait sur le siège à côté de moi. Un petit garçon, je dirais âgé d'une dizaine d'années, s'installa sur l'assise. Il se dévêtit de son gros blouson d'hiver et le laissa à la nonne, qui le rangea dans le porte-bagages fixé au-dessus de nous. Puis, celle-ci s'adressa à l'enfant d'un ton attentionné : « Sois-sage, et surtout, fais bien attention à toi. Joyeux Noël, mon petit ! ». Elle l'embrassa sur le front avant de quitter la rame.
Un nouvel appel d'information nous indiqua que le train s'apprêtait à démarrer. Je fouillai alors mon sac pour en tirer un livre de poche : le voyage s'annonçait long, et il fallait trouver de quoi tuer le temps. Un paquet de gâteaux glissa de la pochette, et tomba au sol. Mince ! Je déployai le bras, allant à tâtons sous la table pour remettre la main dessus. Le petit garçon à côté de moi fit un geste puis me tendit le paquet cylindrique : « Tenez monsieur, je crois que c'est à vous ». Je récupérai mon bien : « Merci bonhomme ». Je remarquai alors son regard fixer l'emballage, tel un chaton contempler un bol de lait inaccessible. Peut-être avait-il faim ?
« Tu en veux un ? », lui proposai-je. Il hocha timidement sa chevelure d'ange. Le gargouillis de son estomac vide intervint, ce qui confirma ma thèse. Je lui passai donc un de mes petits biscuits au chocolat noir, fourrés à la crème, qu'il savoura doucement. J'entamai alors la conversation, histoire de faire connaissance : « Comment t'appelles-tu ? ». « Tristan, monsieur », me répondit-il entre deux bouchées. « Ravi en tous cas que mes gâteaux te plaisent, Tristan ! ». Il sourit, les lèvres pleines de miettes chocolatées : « Et vous, qui êtes-vous ? », m'interrogea-t-il. « Je m'appelle Cédric. Tu peux me tutoyer, si tu veux ». Il ouvrit grand ses deux prunelles bleues : « Cédric ? Comme dans la BD ? ». Je souris à mon tour, acquiesçant du chef. Ce petit m'était bien sympathique. Il reprit : « Et pourquoi prends-tu le train ? Où vas-tu ? ».
Pourquoi prenais-je le train ?... Je lui expliquai un peu mon histoire : je rendais visite à ma femme, pour les fêtes de fin d'année. Je n'avais pas la chance de vivre à ses côtés, donc dès que je le pouvais, j'allais la voir. Et en particulier en cette période, qui m'était très importante : je n'avais jamais manqué un seul Noël. « Ça doit lui faire plaisir !, me répondit-il. Elle a beaucoup de chance... ». A moi donc de lui demander la raison pour laquelle il empruntait ce train Paris-Saint Etienne, en ce 24 décembre. « Moi ? Je passe le réveillon avec mon oncle ; il a une grande maison là-bas. Il me donne toujours plein de cadeaux. Il a aussi un jardin, avec un panier de basket, un vrai comme à la télé'. J'y joue tout le temps... Heureusement qu'il est là... J'ai perdu mes parents il y a 5 ans : on m'a dit qu'ils étaient morts lors d'un reportage. Ce sont de grands journalistes, mes parents ! Je les adore». Il avait les yeux humides, mais pourtant, il gardait ce sourire rayonnant sur le visage. Je ne savais quoi répondre : lui dire que ses parents pensaient à lui ? Qu'ils seraient toujours là, dans son cœur ? Il avait dû l'entendre plus d'une fois. Je me contentai de marquer un temps de silence. Il brisa le blanc qui commençait à s'installer : « Tu as soif ? me demanda-t-il d'un air motivé. La fille du wagon-bar est très gentille, et en plus, elle est jolie ! – il me fit un clin d'œil. Suis-moi ! ».
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Nouvelles en Vrac
Short StoryNouvelle - nom féminin : (Littérature) Genre littéraire basé sur un récit de fiction court en prose, centré sur un seul événement et dont la chute est souvent surprenante. Vous trouverez dans ce recueil les quelques tranches de vie, fruits de mon im...