turquoise.

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Y a l'vent, le vent qui siffle fort dans ses oreilles, le vent qui mord sa peau et s'entortille dans sa crinière ; y a l'vent, plein d'serpents à sonnette. 

Y a la pluie, la pluie qui tape fort cont'les carreaux, la pluie qui résonne sur l'trottoir et marque l'paysage ; y a la pluie, plus violente que des coups d'poings.

Y a les gens, les gens qui l'bousculent, les gens qui avancent dans des sens contraires et l'emportent au loin ; y a les gens, semblables à une immense marrée humaine.

La ville gronde.

Yoongi s'demande c'que pensent les passants, derrière leur visage baissé et leurs traits fuyants.

(P't-être pas grand chose, finalement.)

Son r'gard s'balade sur la grande cité qui l'entoure, mais, comme d'habitude, ça l'rend maussade.

Il se heurte à quelqu'un, qui l'observe avec insistence.

Il s'excuse brièvement, et r'prend sa route dans les rues sales et bondés.

(Ou vides, il sait plus vraiment.)

Quand il arrive au ch'min d'fer désaffecté, un étrange soulagement l'envahit.

Il passe souvent par là pour r'joindre l'hôpital – ou bien rentrer chez lui.

C'est plus calme.

Plus   t r a n q u i l l e.

Ca l'fait traverser la vieille ville, celle dans laquelle il fait pas bon d'trainer, celle qu'on a laissée à l'abandon il y a bien longtemps maintenant.

Il s'engage sur la voie, suit les rails pleines de mousse et s'aventure entre les hautes herbes.

Au loin se profilent les grandes tours décrépies, derniers témoignages de l'ancien temps.

Pourtant, il pourrait encore sentir l'odeur du pétrole et du carbone l'étouffer lentement.

Les sons divers, incohérents, agressifs, ceux des voitures et puis ceux des passants.

Parfois, quand il a du temps à perdre, il va s'y balader.

Il grimpe sur les toits, là où on gratte le ciel, pour v'nir s'confesser.

S'confesser d'pas être normal, comme tous les autres, puis s'excuser aussi, comme si c'était d'sa faute.

Il s'confesse, mais croit-il encore ?

Pas vraiment.

Il aimerait croire en quelque chose, mais il sait pas vraiment en quoi.

(Yoongi ne sait pas grand chose, au final.)

Après tout, ça fait longtemps qu'les hommes se sont détournés de Dieu.

Surtout depuis qu'ils ont choisi de s'octroyer les pouvoirs du Divin d'eux-même.

Alors, maintenant, les hommes se sont mis à fabriquer d'autres hommes.

Au point d'en oublier ce qui f'saient d'eux c'qu'ils étaient vraiment.

Leur   h u m a n i t é.

Les gens ont tout oublié.

Sauf la peur.

La peur d'être contaminé.

Contaminé par la maladie.

La maladie des sentiments.

Tandis qu'il zone dans les rues vides, il r'pense au poème d'Apollinaire.

(La poésie, c'est d'venu si rare, plus personne ne sait c'que ça veut dire.)

Se souvient-il seulement des vers ?

A présent, Yoongi a quitté la vieille ville, et il marche dans des rues bien faites, des rues neuves, des rues grises comme tout l'reste.

Des rues qui grouillent, avec des inscriptions sans queue ni tête sur les enseignes, des panneaux qui clignotent dans l'désordre, et des lumières qui aveuglent et tatouent les rétines.

De quoi choper l'vertige.

(Et s'il r'garde le ciel, tout c'qu'il voit c'est un horizon barré de câbles électriques.

Ca lui donne la sensation d'être en cage.

Ca l'rend presque claustro.)

Tout l'monde s'entasse, s'bouscule, y a plus d'place pour rien.

Ils sont enfermés dehors.

La maison est une prison.

L'immeuble aussi.

Puis la rue.

Sans oublier la ville.

La terre entière, sans doute.

Sauf peut-être la mer.

La mer, on la dit d'un turquoise resplendissant.

Quelque chose à couper l'souffle, à faire grandir d'l'espoir, à r'donner envie d'y croire.

Mais la mer, Yoongi ne l'a jamais vue.

Peut-être même qu'il n'la verra jamais.

(Est-ce qu'elle est belle, la mer ?)

Y a des odeurs de nourriture qui sortent des p'tits restaurants qui peuplent son ch'min, et l'orage qui tonne encore vient r'donner des couleurs à la ville.

(Ca les oblige à s'armer d'leurs parapluiesmulticolores.

Et ils avancent.)

C'est comme une danse, parfaitement bien chorégraphié, et Yoongi s'infiltre entre eux, dans un bruit d'manteaux qui s'effleurent et d'coeur qui s'froisse.

(C'est le sien, de cœur.)

Et la ville mange le ciel, et le ciel se venge sur la ville.

Et les métros sont bondés, puis les bus aussi.

Alors les gens marchent, défient le temps.

Qui lui tente en vain d'les chasser en grognant.

Une expression sérieuse et concentrée barre son visage, ses sourcils se froncent, alors qu'il marche dans le couloir menant à son appartement minable.

Une fois encore, il y a un   p o è m e   devant sa porte.

« Y'a un truc tellement noir dans ma tête, qui m'bouffe la conscience et asservit ma raison, 

j'ai l'impression de dev'nir cinglé et j'peux même plus faire abstraction ; 

et j'entends tout l'monde me dire de tenir bon, que tout s'arrangera grâce à mes médicaments, 

mais savent-ils seulement, et à toi je te l'dis, que je n'en ai plus pour très longtemps ? »

les beaux (les abimés) [taegikook]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant