deux

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Curieusement,le journal du matin n'arrivait jamais dans sa boîte aux lettres.
D'un pas nerveux, Dayoo descendit la rue sous la pluie. Son ressentiment se trouva décuplé par l'attitude grossière de deux hommes qui la répliquèrent sans vergogne tandis qu'elle achetait son journal au vendeur du coin de la rue. Une corvée à laquelle elle n'aurait pas dû être astreinte, puisqu'elle était abonnée au Times et que le journal devait lui être livré quotidiennement à domicile. Pourtant, même si elle payait elle-même ses facture, même si elle était indépendante et habitait dans sa propre maison, quelqu'un avait manifestement décidé de sélectionner ses lectures.
Eh bien, elle n'était pas du style à s'asseoir près du feu et à tirer l'aiguille comme une épouse docile. Et elle avait la ferme intention de lire tout ce qu'elle voulait!
Décidément, les hommes étaient tous des despotes!
Une fois chez elle, elle accrocha son manteau à la patère du vestibule pour le fait sécher.  Encore une froide et pluvieuse matinée. Laissant courir ses doigts sur le tissu humide,  elle les retrouva enduits d'une fine couche de poussière noirâtre. Dayoo fit la grimace. La grisaille semblait planer sur New York. Avec toutes ces cheminées qui crachaient leur fumée, l'air allait bientôt devenir irrespirable.

- Dois-je servir le thé, mademoiselle Woodard?
Dayoo se tourna brusquement et, d'un geste automatique cacha le journal dans les plis de sa jupe.

- oui merci, Hopkins.

Hopkins surgissant sans prévenir si bien qu'une fois sur deux elle se laissait surprendre.pour un majordome il n'était pas particulièrement déférent.sans doute parce qu'elle était une femme et vivait seule à New York. Cette idée la mettait hors d'elle.peu de gens approuvaient son mode de vie. On aurait préféré qu'elle fréquente assidûment les soirées dans l'espoir de se dégoter un riche mari.c'etait bien sûr beaucoup plus respectable que d'assumer ses responsabilités sans l'aide de personne!
Quelle stupidité!
Seule sa cousine Mary avait partagé son point de vue, grâce à l'éducation éclairée dispensée par Oncle Frank.
Pauvre Mary...
Glissant l'exemplaire du Times sous son bras Dayoo gagna le bureau et s'installe dans son fauteuil préféré comme à son habitude, elle parcourut d'abord les nouvelles du jour et se plongea dans un article traitant d'un nouveau remède contre la migraine et la gueule de bois:
"Le Coca-Cola est en vente depuis le 8 mai dans une pharmacie d'Atlanta où l'apothicaire M.john S. Pemberton à mis au point la formule de ce tonique qui stimule l'intellect à base de feuilles de coca séchées en provenance d'Amérique du sud..."

Dayoo tourna la page et enchaîna sur un entrefilet imprimé en gras:

"Un grand magasin à l'enseigne de Blooming Dale ouvrira sur la troisième Avenue..."

Elle passa à la rubrique mondaine et subitement un nom accrocha son regard.
Peter Holland.
Le mari de Mary.
Et peut-être aussi son meurtrier si la rumeur disait vrai.
Dayoo s'était promis de découvrir si celle-ci était fondée. Un jour oui un jour elle la vérité. Christopher le fils de Mary que Dayoo n'avait jamais vu ne méritait pas d'être élevé par un assassin un individu capable de tuer sa propre épouse afin de s'approprier sa fortune.
À en croire les on-dit Peter Holland était un être maléfique.le décès de sa femme s'était produit à point nommé alors qu'il se trouvait au bord de la faillite et par une coïncidence extraordinaire il avait retrouvé le chemin de la prospérité.
Le hasard faisait décidément bien les choses.
La presse s'était déchaînée et les journalistes avaient supputé que l'argent de Mary l'avait sauvé in extremis. Malheureusement, seule cette dernière connaissait le fin mot de l'histoire,et elle avait emporté la vérité dans la tombe.
Mary était morte en protégeant son fils, alors que son cher époux, ivre mort restait prostré à l'autre bout de la maison. Comment avait-il pu ne pas entendre l'agresseur? Pourquoi n'avait-il pas pris la défense de sa femme et celle de son fils?
Dayoo voulait en avoir le coeur net. Or il n'était pas impossible que Mary par-delà la mort puisse lui fournir la réponse. En effet sa cousine n'avait jamais cessé de tenir son journal intime. L'écriture était sa passion, et elle avait toujours couché ses émotions sur le papier.
La presse en avait fait ses choux gras. Après la mort de Mary la plupart de ses écrits avaient été publiés sur l'instigation de qui ? Dayoo l'ignorait elle avait été horrifiée de voir étalée sur la place publique par des hommes plus soucieux du tirage de leur journal que du respect dû à la défunte les détails de la vie misérable de sa cousine. Les extraits choisis relataient ce qu'avait été l'existence de Mary jusque trois mois avant sa mort. On ignorait ce qu'il était advenu par la suite.
Dayoo n'en savait pas plus que ce qu'elle avait lu dans les journaux.... À savoir que le pauvre Christopher âge de six mois à peine, avait perdu la vue lors de cette nuit cauchemardesque, quand la fenêtre placée au-dessus de son berceau avait volé en éclats.

pour les yeux de DayooOù les histoires vivent. Découvrez maintenant