La Pianiste

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Le grand piano à queue du fond de la bibliothèque n'avait plus émis le moindre son depuis des lustres et pourtant il demeurait, fier et majestueux.
Ce jour-là, tandis que Jules venait rapporter quelques livres, quelqu'un joua quelques notes. Pas plus. Mais comme la bibliothèque était vide, le jeune homme décida d'aller voir qui avait été capable de réveiller un son d'une tel beauté. Il s'enfonça entre les armoires en vieux chêne et atteignit l'instrument. D'abord il ne vit personne, avait-il rêvé ? Néanmoins, une douce mélodie continuait toujours de combler le silence de l'immense pièce. Il s'approcha donc et aperçu d'abord ses longues boucles cuivrées qui cascadaient sur ses frêles épaules jusqu'au creux de ses reins et qui se balançait au rythme de la musique. C'était une petite fille. 10 ans environ. Et jamais encore il n'avait croisé pareille perfection. Elle avait les yeux clos, le nez pointant le plafond, des joues rondes et rosées parsemées de fines taches de rousseurs rendant sa peau nacrée imparfaitement parfaite. Ses doigts glissaient sur les touches en ivoire avec douceur et légèreté tandis que ses pieds n'éfleuraient même pas les pédales.
Jules ne pouvaient plus bouger. Il avait beau ne pas particulièrement s'intéresser à la musique classique, il fut tout de même frappé par le contraste en l'apparence si seraine et presque joyeuse de la fillette et la sombre mélodie qu'elle jouait. Il était littéralement transporté par ce flot de mélancolie pure. Son cœur se serrait un peu plus à chaque note et une unique larme lui échappa. Le bruit que cette goutte d'eau salée fit en venant s'écraser sur le sol de la bibliothèque sortit l'enfant de la transe dans laquelle elle était plongée. Elle ouvrit les yeux et les tourna vers le jeune homme. Elle lui sourit sans jamais s'arrêter de jouer. Encore une fois Jules surprit par le paradoxe qui transparaissait sur ce petit visage angélique. Alors qu'elle lui adressait un sourire pétillant et débordant de joie de vivre, ses deux iris jades le détaillaient avec une immense douleur et une tristesse sans fin.
Jules ouvrit la bouche, pour parler sans doute, mais aucun son ne franchit ses lèvres. La gamine gloussa avant de refermer les yeux pour se concentrer sur sa mélodie. Elle joua plus fort, accentuant le balancement de son corps les sourcils légèrement foncé, la colère s'emparait des notes qui maintenant hurlaient leur haine et leur désespoir. Jules fut envahit par cette rage dévastatrice qui s'imposait à lui. Il avait envie de hurler, de frapper, de détruire mais il n'en fit rien là mélodie était redevenu douce et fragile chantant l'horrible impuissance. Le jeune homme s'approcha donc plus près encore lentement comme pour ne pas briser le faible équilibre que semblait avoir trouvé les notes de musique. À nouveau la petite fille posa ses iris jade sur le jeune homme:
- Es-tu heureux ? Questionna-t-elle.
Jules répondit sans réfléchir :
- À dire vrai... je pense que non... Et toi ?
Elle gloussa.
- À cet instant précis, je suis convaincu que oui. Dit-elle en balançant sa tête de gauche à droit au rythme de la musique qu'elle ne cessait pas de jouer.
- En t'entendant jouer on ne dirais pas.
Les doigts de la petite fille ratèrent une note mais ils se reprirent rapidement.
- Sais-tu qui je suis ? Demanda-t-elle au bout que quelque minute.
Jules hésita. Évidement qu'il ne l'a connaissait pas mais la question lui paru tellement simple qu'il se prit à y réfléchir sérieusement. En vain.
- Non, quel est ton nom ?
La fillette rigola et son rire cristallin sonna comme une douce musique au oreille de Jules.
- Je m'appelle Diana et c'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui ne me connais pas. S'exclama-t-elle.
Cette fois-ci, c'est Jules qui sourit. Il l'écouta jouer pendant plusieurs minutes qui lui semblèrent durer des heures. Il avait fermé les yeux pour mieux apprécier chaque son qui parvenait à ses oreilles. Il se sentait happé par le rêve et devait lutter pour ne pas sombrer. Dans un dernier élan de pure lucidité, il parvint tout de même à se mouvoir jusqu'à une table de travail la plus proche et à tirer une chaise jusqu'au vieux piano sur laquelle il se laissa tomber lourdement. Il referma les yeux et cette fois-ci se laissa emporter par la mélancolie de la musique.

- hey.
Jules ne réagit pas. Diana se pencha sur le côté pour l'observer.
- As-tu été heureux tout au long de ta vie ?
Le jeune homme ne réagit pas. Diana perdu alors son pétillant sourire.
- Pourquoi ne m'as-tu pas reconnus ? Continua-t-elle en faisant la moue.
Elle attendit une réponse qui ne vint pas. Alors doucement la petite fille se mit à pleurer.
- Si tu m'avais reconnus tu aurais pu faire quelque chose... Mais c'est trop tard maintenant. Sanglota-t-elle. Je vais bientôt devoir partir et quand on se reverra...
Elle retira vivement ses mains des touches d'ivoires stoppant nette l'envoutante mélodie. Elle se recroquevilla sur le tabouret, visage enfoncé dans les genoux et bras autour de la tête.

Soudain la porte donnant sur les archives s'ouvrit sur la vieille documentaliste. Elle avait cru entendre un visiteur arriver. Elle se dirigea d'un pas rapide vers son bureau et vit les livres que Jules étaient venu rendre. Elle fronça les sourcils et fit volte-face pour sillonner les allées à la recherche du jeune homme. Elle le trouva assoupi sur une chaise au milieu de la rubrique "médecine du monde". Elle retint un soupirement avant de doucement lui secouer l'épaule. Il émergea sans plus tarder et se redressa en observant autour de lui comme s'il cherchait quelque chose ou quelqu'un... En vain. Il tourna alors un regard un peu perdu vers la documentaliste.
- Peux-tu m'expliquer ce que tu faisais endormis ici ? Le réprimanda-t-elle. Mais elle perdit un peu de son assurance devant la mine plutôt frustré que lui montra alors le jeune homme. Mais qu'es-ce qui te prend tout à coup ?
Ignorant la question, Jules se leva et commença à chercher partout, il était pourtant sur qu'il y avait un piano ici.
- Le piano, le piano Virginie qu'en avez vous fait ? Demanda-t-il en se retournant d'un coup.
La femme écarquilla les yeux. Un piano, un piano ? Mais de quel piano parlait-il ? Elle ouvrit la bouche mais n'eut pas le temps de répliquer que le jeune homme fonçait sur elle la prenant par les épaules et la fixant droit dans les yeux.
- Vous ne l'auriez tout de même pas envoyé au encombrant pendant que je dormais ? Si ? Couina-t-il.
La femme détourna les yeux ne pouvant soutenir le regard fiévreux et remplit d'espoir et de crainte qui lui transperçait le cœur.
- Jules... Il n'y a jamais eut de piano ici. Soufla-t-elle doucement par peur de sa réaction.
Le jeune homme lâcha ses épaules en écarquillant les yeux.
- Je ne comprend pas... Il était ici pourtant. Balbutia-t-il en se remettant à chercher des preuves de ce qu'il avançait.
La documentaliste se reprit rapidement quand elle se rendit compte que Jules commençait a paniquer. Ce n'était pas la première fois qu'il voyait des choses qui n'étaient pas là après tout. Elle remonta des lunettes sur son nez et s'approcha de lui pour lui prendre le bras. Elle capta son attention et l'obligea à respirer pour qu'il se calme.
Après quelques minute, Jules avait retrouvé ses esprits et savais désormais que Diana n'avait été que le fruit d'une de ses hallucinations quotidienne. Cela lui fit du mal de l'admettre tant le moment qu'il avait passé à l'écouter jouer avait réussi à le faire vibrer. Et malgré la tonalité infiniment triste de la mélodie que la fillette avait jouée, le jeune homme n'en doutait pas une seconde. Il avait été heureux. Et il voulait revivre cela, ne jamais vivre autre chose que ce moment. Figé hors du temps.
Soudain il comprit qui était la mystérieuse Diana et il sourit amèrement tellement la Solution lui apparu comme une évidence. Il se tourna alors vers la documentaliste et dans le plus grand des sérieux il lui demanda:
- Peux-tu m'accompagner à l'hôpital ?

, à Gaiyia.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 10, 2018 ⏰

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