Le ciel était dégagé, on voyait nettement les étoiles scintiller et la lune claire illuminait la ville. Il était tard et la sonnerie du tramway, le vrombissement des quelques voitures et le clapotis agréable des jets des fontaines retombant dans les vasques me berçaient, et malgré les nombreux verres de vodka que j'avais ingérés, j'arrivais encore à marcher. L'alcool devait me monter à la tête car je décidai d'entrer par effraction sur la Promenade du Paillon, tout en évitant de me faire mouiller par les jets du miroir d'eau. C'était l'endroit de Nice que je préférais, pour sa verdure, son charme apaisant et la beauté du lieu. Je passai par-dessus l'enceinte, et marchai un petit moment jusqu'à la statue du maréchal Masséna, qui semblait m'observer de toute sa hauteur, je décidai de m'allonger sous un arbre. A peine eus-je les yeux clos, qu'un bruit sourd me fit sursauter. Je regardai les alentours ; à première vue, tout semblait normal. Je saluai le maréchal assis sur son piédestal et m'assoupis. Quelques minutes plus tard le bruit terrifiant se reproduisit. Je rouvris les yeux et horrifié découvris Masséna posté devant moi, mais j'eus à peine le temps de me frotter les yeux que la statue était à sa place. L'alcool me rendait fou ou je me prenais pour Don Juan face à la statue du Commandeur !
Comme je n'arrivais point à dormir, je décidai de marcher et d'escalader les grilles d'enceinte jusqu'au jardin Albert Ier. Mais cela ne fit qu'augmenter mon angoisse, toutes les sculptures, quelles qu'elles soient semblaient me regarder. J'arrivai devant la lionne de bronze, m'arrêtai devant elle et m'assis en lui tournant le dos. Un rugissement me fit tressaillir, je n'osais me retourner jusqu'à ce que je sente une chaleur au-dessus de ma tête. Je bondis et reconnus la lionne prête à se ruer sur moi. Je pris mes jambes à mon cou. Elle me pourchassait et gagnait du terrain. Comprenant que j'allais mourir dévoré par une statue, je décidai de faire face à mon destin. En faisant volte-face, je trébuchai et tombai dans la Fontaine des Trois Grâces. Je décidai alors de rester en apnée sous l'eau froide sans remuer, peut-être qu'elle ne me verrait pas ? J'avais raison, elle avait reniflé tout autour de la fontaine et avait rebroussé chemin. Je pus sortir la tête de l'eau et inspirer une grande bouffée d'oxygène. Je me sentis sain, sauf et trempé.
Tout à coup, l'eau s'arrêta de couler ; j'entendis une voix me chuchoter « Si tu veux retrouver la joie de vivre en te prouvant que tu n'es pas fou, tu dois les capturer, même si tu dois le payer. », une autre continua « pour que tout rentre dans l'ordre, il te faudra, extrêmement de courage. Tu devras rejoindre la forêt de bambous et fabriquer une cage sophistiquée. » Je levai alors la tête et vis ces Grâces sublimes me parler. La troisième murmura « Si tu veux garder ta beauté, sans endommager ce somptueux félin de métal, trouve le bel œillet d'or et glisse-le lui entre les crocs. » Je voulus demander des précisions mais l'eau se remit à couler et les statues redevinrent de marbre. Je regardai alors de tous les côtés pour vérifier que j'étais en sécurité. Je ne vis que la flore de la Promenade du Paillon. Je sautai hors du bassin, courus et escaladai chaque grille à la vitesse de la lumière pour rejoindre les bambous à l'autre bout de la Coulée Verte.
Enfin arrivé, j'essayai tant bien que mal de déraciner les longues tiges vertes. Quand j'en eus arraché trois, un grondement tel le tonnerre me fit tressaillir. Je passai légèrement la tête entre les plantes et aperçus la copie du David de Michel-Ange passant tout près de moi. Je me retins de hurler, tout haletant, je vérifiai qu'il était passé et recommençai à arracher les bambous. Après une bonne heure, j'en eus enfin assez et me demandai alors comment les accrocher ensemble. Lorsque tout à coup j'aperçus par chance des cordes devant les bambous. Je les décrochai et assemblai le tout. La cage était prête. Il fallait maintenant la monter au sommet de quelque chose avec un mécanisme pour qu'elle tombe sur le fauve. Je marchai pour trouver une idée, quand j'eus une révélation. Les aires de jeux pour enfants ! Je n'avais qu'à attirer les statues une par une dans la baleine, grâce aux vagues de bois à l'intérieur, elles trébucheraient à coup sûr, et là je pourrais les enfermer. Il ne me restait plus qu'à les attirer. Je regardai le piédestal du David, il était vide. Je fis le tour de cette partie de la Promenade du Paillon et je le trouvai. Il me fixait, je me mis à reculer, il grogna et me fonça dessus. Je courus le plus vite que je pus jusqu'au point de capture. Arrivé à la baleine, j'évitai les rondins de bois gravé : comme prévu il tomba et je le capturai. Je fis de même avec les autres sculptures. Il ne restait plus que la lionne. Mais auparavant je devais trouver le fameux œillet. J'étais exténué, j'entendis un rugissement, je me retournai et vis le félin de bronze sauter par-dessus la grille. Je n'avais plus la force de m'échapper. Alors je sautai dans les fleurs. A cet instant, ce fut comme un miracle, une lumière me brûla les yeux, je rampai jusqu'à elle. L'œillet apparut. Je le cueillis et une voix chanta « Tu crois ce que tu vois, en tout cela tu as foi, et je t'en récompense. » Je l'avais trouvé ! Le soleil commençait à pointer son nez, je sautai hors du parterre de fleurs et fonçai vers la lionne affamée. Je réussis à lui glisser la fleur dorée entre les crocs. Elle se figea instantanément.
J'entendis un bruit derrière moi, c'était un jardinier. Il me demanda ce que je faisais ici, je lui répondis que j'avais passé la nuit à me faire attaquer par les statues. Il me prit pour un fou, mais fit quand même le tour avec moi. A ma grande surprise, tout était normal. Arrivé devant la lionne de bronze nous vîmes qu'elle avait une fleur dans la gueule. Le jardinier la retira. Elle était dorée, c'était un œillet doré ! Je commençai donc à lui raconter l'histoire dans cette fameuse nuit, mais il ne me croyait toujours pas. Je m'énervai contre lui, piétinai les feuilles. Affolé, il appela les urgences psychiatriques. On me fit des tests et ma dernière promenade fut pour venir ici, à Sainte Marie.
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Le long du Paillon
ParanormalPersonne ne me croît. Je les ai vu. Je vous jure. Elles étaient là devant moi, voulant ma mort. Croyez moi. Je vous en supplie. Je vais tous vous raconter, vous allez me prendre pour un fou, comme eux. Mais je vous jure, c'est vrai. Lisez, je vous r...