Ginger et Rosa

La joie des repas de famille

- Alors les amours ? me demande Mamie, un sourire en coin.

Voilà la question fatidique posée - en général par un oncle bien beauf qui écoute Christophe Willem et Étienne Daho en boucle - aux interminables repas de famille.

Mais oncle Jacky ne dit rien et se contente de regarder le spectacle qui s'offre à ses yeux. C'est à dire moi, étant dans une situation peu confortable.

Je lance un rapide coup d'oeil à ma mère dont le visage pâle se décompose lentement. Elle est la seule à savoir pour Rosa et moi. J'attends un signe de sa part, mais rien. Alors je réponds pour briser le silence gênant qui a prit place dans la pièce.

- Euh, ça va...

Mamie hausse les sourcils en mode «c'est tout ?». Elle a la tête que toutes les mamies ont lorsqu'elles sont sur le point d'apprendre des détails croustillants sur leur voisine étrange affublée d'un prénom laid du style Ginette ou Gertrude - ou Cunégonde si on veut être dans l'extrême.

- C'est tout ce que tu nous racontes sur ton amoureux ? persiste Mamie.

J'aimais beaucoup ma grand-mère, mais je savais que je ne pourrais jamais lui dire pour Rosa et moi.

Enfin, jamais est un grand mot.

Alors vient le moment où je fais ce que je fais le mieux, c'est à dire fuir. Je me lève et m'éclipse à la cuisine, prétendant vouloir faire le café.
Je prends une grande inspiration et attrape dans le placard, des tasses qui sont probablement aussi jeunes que Paul McCartney.

Je m'applique à verser le café minutieusement dans les tasses.
Malgré mon absence, le sujet de la conversation n'a pas changé et mamie revient à la charge.

- Comment qu'il s'appelle ?
- Euh... Thom.

Je souris, fière du mensonge que je viens de dire sans hésitation.

- Quand est-ce qu'il vient manger à la maison ? demande Papi.
- Pour que tu lui fasses peur avec tous tes fusils de chasse, jamais, répond Maman avec un faux sourire.

Je la remercie silencieusement pour son intervention qui a pour effet de faire rire tout le monde.

Oncle Jacky est mort - de rire ou d'alcool, je ne saurai le dire - et je sens qu'il va bientôt me foutre la honte.

- Oh c'est bon, je râle en croisant les bras.

J'espère que mon mécontentement va clore cette discussion.

- C'est ce que tu lui dis quand vous êtes au lit ? demande Jacky, mort de rire.

Il a lâché une bombe qui m'explose en pleine gueule.

Je m'apprête à contre-attaquer mais la tête de ma mère me dit qu'elle est bien plus en colère que moi. Ce qui signifie que je ferai mieux de ne rien faire.

Elle se lève brusquement et dit qu'on doit partir.

Après 5 bises, je monte dans la voiture et maman ferme la porte d'entrée avec brutalité.