Ginger et Rosa

Rosa

Je tente de me frayer un chemin entre les dizaines de lycéens qui parcourent les couloirs. Ce n'est pas une mince affaire et je suis presque soulagée lorsque j'aperçois enfin ma professeur de philosophie. Je me dirige vers elle rapidement, dans l'espoir d'échapper au troupeau qui m'entoure et qui n'a que faire de moi. Mais je me heurte à Thom.

- Ginger ? Je peux te parler ?

- Ce n'est pas vraiment le moment, je réplique, coincée entre un grand baraqué et une fausse blonde.

- Plus tard, alors !

Excellente idée, je pense intérieurement.

Je réussis avec beaucoup de faire à atteindre ma salle de classe. Je me laisse tomber sur ma chaise. Un sourire se dessine sur mes lèvres lorsque Rosa vient s'asseoir à côté de moi. Elle ne le fait pratiquement jamais.

- Tu vas bien ? me demande-t-elle tandis que les chaises raclent le sol.7

- Je suis crevée et je fais que de m'engueuler avec ma mère, mais sinon ça va super ! je réponds ironiquement. Et toi ?

- Tu t'engueules avec elle à cause de moi ?

- A cause de nous, je rectifie.

La dernière chose dont j'ai besoin, c'est que Rosa se sente coupable. Ma relation avec ma mère se dégrade énormément ces derniers temps, mais elle n'a jamais été fantastique non plus. Pourtant ma mère est une femme chouette. Elle s'est débrouillée pour s'occuper de moi après la mort de mon père. Elle me faisait des tartes aux pommes et m'emmenait faire des tours de manèges. C'est une bonne mère. Elle n'est juste pas assez ouverte d'esprit. Elle refuse la relation que j'ai avec Rosa. Tant pis pour elle, elle rate l'occasion de rencontrer une fille merveilleuse.

- Je suis vraiment désolée, répond Rosa en baissant les yeux sur ses feuilles noircies par son écriture propre et appliquée.

- Ce n'est pas de ta faute, je réplique.

- Silence !

Notre prof de philo semble s'impatienter. Il est vrai que nous sommes très lents à nous mettre au travail...

- Tu veux venir passer le week-end à la maison ? je propose dans un murmure.

- Ta mère risque de ne pas être d'accord...

- Elle n'est pas là.

- Alors dans ce cas, avec plaisir !

Nous étions mardi et j'étais soudain impatiente.

- Tu fais quoi demain midi ?

- Euh Thom vient manger chez moi.

- Thom ?

Rosa semble d'abord surprise, puis se renfrogne. Je lui ai pourtant déjà précisé la nature de notre relation.

- Ouais, ma mère a insisté pour que je l'invite.

- Vous faites toujours semblant de sortir ensemble ?

Rosa, l'air dédaigneux, me lance un regard noir.

- C'est seulement pour mes grands-parents.

- Ce n'est pas normal de leur mentir.

- Je n'ai pas envie de leur filer une crise cardiaque ! je réplique froidement, et un peu trop fort.

Mon intervention me vaut un mauvais coup d'œil de la part de ma prof et de certains élèves. J'esquisse un sourire d'excuse et le cours continue comme si je ne l'avais pas interrompu.

- Je suis désolée Rosa, mais ma famille n'est pas aussi ouverte que la tienne, d'accord ? Je fais ce que je peux.

- Ma famille n'est pas ouverte, réplique Rosa. Elle est tout simplement inexistante.

- C'est faux.

- Ils ne se préoccupent pas de moi.

- Tu devrais en profiter. C'est chiant d'avoir toujours sa mère derrière soi. De toute manière, ce n'est pas le sujet. Je ne suis pas libre demain midi car Thom vient à la maison.

Rosa soupire.

- Pourquoi tu ne l'aimes pas ? je demande, curieuse. Il ne t'a rien fait.

- Il essaie de me piquer ma petite-amie, ce n'est pas assez ?

J'en reste bouche-bée.

- Ginger et Rosa, pouvez-vous nous faire l'honneur d'écouter le cours ? Ou peut-être que Freud n'est pas assez bien pour vous ? Lorsque vous aurez 19 de moyenne, on en reparlera. Pour le moment, suivez le cours et cessez de déranger ceux qui souhaitent avoir un avenir convenable.

La remarque de ma prof nous refroidi quelques minutes. Puis je décide d'avouer la vérité à Rosa.

- Thom ne veut pas de moi, je t'assure. Il est... Gay.

Rosa en lâche son crayon. Elle ne devait vraiment pas s'attendre à ça.

- Gay ? elle répète en riant le plus discrètement possible.

- Oui, je souffle.

Je prie intérieurement pour que personne ne nous ait entendu car cela pourrait rapidement devenir gênant. Et Thom serait furieux. Bien que j'ai du mal à imaginer un garçon aussi calme et gentil que lui en colère. 

Je regarde Rosa du coin de l'oeil. Elle se mord la lèvre inférieure et mumure qu'elle est désolée de s'être emportée. Je souris. Elle est pardonnée d'avance. Je l'aime tellement.