Spectrale

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Elle est là, au coin de la rue. Elle se tient au milieu des tombes qui courent à perte de vue, comme un ouvrier fier de son travail. Un voile de brume obscure est son seul vêtement. Des volutes sombres flottent autour d'elle, des lambeaux de soie déchirés par le désespoir et la souffrance. Ses mains sont cadavériques, une fine couche de peau blanche et décharnée recouvre son maigre squelette. Une brise lancinante déchire ses longs cheveux de ténèbres qui s'emmêlent entre ses os. Son visage ést ravagé par le temps, des ridules parcourent sa chair à nu. Ces sillons se croisent en spirales complexes aux formes mortifères.

Une poigne de fer enserre mon estomac.

Deux profondes cavités me fixent. Des yeux sans pupilles, sans prunelles. Des orbites vides qui semblent voir au plus profond de mon âme. Plonger au creux de mon cœur, le serrer de ses mains chimériques jusqu'à ce que je suffoque.

Et

je

suffoque.

Cette silhouette est menaçante. Déformée, accidentée, anguleuse. Comme si sa tache ancestrale, exécutée depuis l'aube de l'univers, pèse sur ses épaules.

Me voici au crépuscule de mon existence.

Et alors il me semble que la beauté de ce que je pourrais accomplir me saisit seulement. Il me prend l'envie de vivre pleinement. Eperdument, profondément, follement. Frénétiquement. Ce désir est soudain, violent, il me prend avec l'énergie du désespoir.

Elle s'approche. Ses pieds nus caressent le sol. La Terre vibre, tremble, mon monde s'effondre. Les débris de mes jours achèvent de disparaitre dans mon esprit. Je reste figée, statique. Mon corps ne m'obéit plus.

Je m'imagine un instant, le lendemain, gisant dans une flaque. Les passants se demanderont qui est cette vieille. La pauvre, mais son temps était venu, elle a fait son temps, elle a profité, et finalement, elle est parti. Une pauvre femme essuiera une larme avec son mouchoir en papier. Elle pensera à sa grand-mère, qui a oublié jusqu'à son nom. Ce vieil homme songera que bientôt son jour viendra. Une goutte salée coulera entre ses rides. Cette enfant cessera de jouer en me voyant gisant. Elle essaiera de se souvenir des parents de ses parents qu'elle n'a pas connus, et ses yeux vont s'humidifier.

Puis ils secoueront la tête et jetteront leurs mouchoirs. Un tas de papier dans une poubelle, et ce sera la dernière trace de ma vie.

Je laisse la Mort m'enlacer. Elle saisit délicatement mon corps frêle entre ses doigts. Son contact me glace, m'anesthésie.

Puis je m'effondre contre le sol. Je ne vois que sa cape de néant, qui s'évanouit dans la nuit.

Il ne reste que la lune et sa lueur spectrale,

diaphane. 

Diaphane | ✅Where stories live. Discover now