Bonjour à tous chers lecteurs,
Ceci n'est pas un chapitre supplémentaire, une vie après la mort de ce personnage sans nom, anonyme dans le foule.
Ce n'est qu'un remerciement, et les mots d'un autres, aussi. Je souhaiterais remercier ceux qui ont aimé cette rencontre avec la Mort que j'ai tenté de vous faire vivre, ceux qui ont voté, commenté...Mais ce n'est pas la raison première de ma venue ici.
Il se trouve que j'ai fait lire Diaphane à un de mes proches, et que ce texte l'a inspiré, il s'est donc empressé d'écrire et de m'envoyer sa propre version de la rencontre avec la Mort.Je souhaiterais vous le faire partager...
Voici:
Quatre-vingt-treize ans est un bel âge pour devenir immortel.
En fait, c'était le moment ou jamais. J'avais l'estomac lourd ce soir-là, et la tête un peu troublée par le champagne. A travers mon hébétude due plus certainement à la digestion qu'à l'alcool, il m'apparut clairement que je ne verrai pas l'année nouvelle, bien que deux jours fussent peu de chose comparés aux trente-quatre mille qui avaient défilés un à un depuis ma conception. Mon état était-il à mettre sur le compte de mon quatre-vingt-treizième gâteau d'anniversaire, en avance d’un jour, ou sur celui des quelques coupes qui l'avaient arrosé, je ne saurais le décider avec certitude.
Depuis ma plus tendre enfance ..... Hum ! Ne remontons pas trop loin ... Bref, j'ai décidé il y a bien longtemps qu'il était impossible que je mourusse, et je me suis patiemment préparé à affronter ce moment clé, incontournable, le jour de mon non- trépas. Ce jour était à présent venu, et de le savoir d'évidence me ragaillardit plus qu'il ne m'emplit de fatalisme.
Je me suis donc mis au lit. Mon cerveau émoustillé était encore assez vif et je ne craignais pas d'égarer une seule des pensées que je devais émettre et dont l'enchaînement rigoureux garantirait le succès de mon projet soigneusement mûri. Je les avais repassées si souvent dans ma tête que leur déroulement en était devenu presque automatique.
Tout d'abord, je fis semblant de dormir et j'attendis que quelque membre scrupuleux de ma famille se fut assuré du bon ordre de mon repos. N'être surtout pas dérangé, voilà l'important. Voilà qui pourrait briser un espoir chèrement bercé - le briser fatalement si j'ose dire.
Puis, se remémorer en un instant les moindres détails de mon passé, de façon thématique et non point chronologique comme ont cru pouvoir l'affirmer certains, qui s'imaginaient revenus du royaume des morts après avoir cliniquement décédé : ils eussent été immortels avant moi. Mais ceux-là ont fait erreur et la preuve en est qu'ils sont à présent bel et bien dans la tombe.
Comme je l'ai découvert en passant et repassant ces faits au crible de ma logique toute personnelle, il me fallait en quelque sorte effilocher le tissu de mon existence par la chaîne. Il en subsisterait ainsi la trame, pure, nette, et ce ne serait plus alors qu'un jeu de la retisser d'un fil neuf. Car c'est bien sûr la chaîne qui, usée, se rompait par endroits. Le support restait intact.
J'ouvris donc avec délice le chapitre de l'Amour, revivant trop rapidement les nuits d'extase de la jeunesse, les jours sereins de la maturité. Mon premier coup de foudre me saisit à nouveau, déchirant, lorsque je vis apparaître dans la classe la petite écolière que je n'osais par la suite jamais approcher. Je retrouvais enfin la sérénité dans mon lit de vieillard, main dans la main aux cotés de l'unique compagne de ma vie, puis dans mon berceau, paisiblement endormi après la tétée.
Je l'avais bien prévu, mais le passage fut plus brutal que je ne l'aurais pu imaginer. Haine et ire déchaînèrent leur tempête et je me trouvais soudain entraîné au cœur d'un maelstrom intérieur insupportable et libérateur. Cela a débuté par une lacération, griffes et dents confondues, de ce sein qui ne voulait plus me nourrir. Je hurlais ma faim et ma hargne contre cette partie de moi-même qui ne m'obéissait plus, qui ne me prodiguait plus le chaud évanouissement d'un sommeil repu, quoi qu'y fissent mes cris impérieux et stridents. D'autres colères suivirent mais heureusement, personne ne m'avait entendu rugir, si bien que le processus put se poursuivre avec la même vélocité. A présent, mes dents grinçaient de toute la culpabilité accumulée sous la colère, et cette phase-là dura un temps infini - probablement même plusieurs centièmes de seconde selon mes calculs approximatifs. Quelques affects mineurs s'effilochèrent ensuite plus malaisément. Bouts de fils parfois réduits à de simples traces, rompus en de multiples endroits, qu'il fallait extraire, laborieusement, avec la plus grande minutie. Ambition, mensonge, élan artistique, cédèrent un à un à mes investigations. Je ne devais en oublier aucun, pas même cette inclination religieuse qui ne m'avait tenu qu'un mois lors de mon entrée au lycée.
J'achevai, intellectuellement et sensoriellement épuisé, cette remémoration fastidieuse, par l'extraction d'un long fil d'ennui que j'avais conservé pour la fin. J'en restai atone, paisible, purifié. Clairement devant moi s'étalait ma vie toute neuve, à nouveau vierge de tout sentiment, et cela ne m'émouvait point. J'en percevais enfin la ligne de force - trame d'un seul fil courant d'une extrémité à l'autre du métier, revenant parallèlement à lui-même pour repartir encore.
J'avais choisi un fil soyeux, brillant, presqu'électrique, et je commençai à tisser en fredonnant. C'était une pelote de béatitude infinie, de bonté suprême pour le monde et pour moi-même, à laquelle se mêlait harmonieusement un écheveau d'immortalité froide et d'amusement détaché. Et lorsque j'en eu lié l'extrémité à la trame, il ne me resta plus qu'à contempler mon œuvre, à la fixer intensément. Je m'en imprégnai ainsi, à moins que ce ne fut elle qui m'absorbât. Elle me donna vie et je lui donnai corps, nous nous fondîmes l'un en l'autre.
Après cela, je ne sais plus bien ce qui est arrivé. Tout a été si rapide. Je me suis enfui peut-être. J'ai erré dans un ciel sans étoiles à la recherche de mon monde, mon nouveau monde. J'ai perdu ma propre trace, dissoute dans l'Ether infini. Les miens ont découvert au matin mon corps tordu par la souffrance et quelqu'un a rabattu mes paupières sur mes yeux exorbités.
Je ne comprends plus. J'avais si bien commencé cette lettre en forme de conte que je destinais à mes proches. Je désirais leur expliquer ma résurrection sans les effrayer, et je vois maintenant poindre le drame. C'est pourtant ainsi que cela devait se dérouler. J'avais bien tout prévu. Tout passé et repassé au crible de ma logique personnelle. Quelque chose que j'aurais oublié? Un défaut invisible du tissu qui l'aurait déchiré tout entier de même qu'une maille échappée condamne le tricot ?
Il est trop tard et j'ai trop peur du vide qui enfle en moi. Impossible de tout reprendre, je n'ai plus la sérénité nécessaire. Je suis fatigué et il est bien tard. Presque minuit. J'aurais eu quatre-vingt-treize ans demain. Trop tremblant et trop faible pour écrire encore. Adieu.
Peut-être m'a-t-il manqué ... de n'avoir pas assez ... pleinement...
vécu.
J'espère que ce texte emprunté un cours instant vous aura plu autant qu'il m'a émue.
N'hésitez pas à laisser vos impressions.S'il vous prend, vous aussi, l'envie d'écrire sur ce sujet, je serais absolument ravie de lire vos écrits, j'espère que vous me les ferez parvenir !
J'espère ne pas vous avoir effrayé avec ce thème pour le moins triste,
Bonne journée,
Lusi.
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Diaphane | ✅
Short StoryUne soirée à Paris, le reflet du vague à l'âme dans les flaques fraiches. Une délicate senteur de mort qui flotte entre le désespoir et la foi, accompagné par la douce mélodie de la pluie. Couverture par @PhoenixPotterWard !