Chapitre 1 : L'enfance

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Comme tous les Lundi matin, je ressens une petite douleur dans la poitrine au moment de dire au revoir à mon mari et de feindre un sourire pour qu'il ne se doute de rien. Ça devient de plus en plus difficile de faire semblant que la tournure actuelle des choses ne me touche pas.

Ibrahima : [Sur le pas de la porte] Je te souhaite une excellente journée ma petite femme. Tu comptes faire quoi de ta journée ? 

Zahra : [D'un air trop enjoué pour être sincère] J'ai une journée super méga chargée, je dois  aller à 4 entretiens, puis aller à un événement sur l'entrepreneuriat et ensuite retrouver un potentiel partenaire. Je me sens déjà fatiguée rien que d'y penser.

Ibrahima : [Sourire jusqu'aux oreilles] C'est parfait , je te souhaite bonne chance mon amour, je t'aime et tu es la meilleure. Tu sais qu'ils vont devoir se battre pour t'embaucher ! Crois-moi, tu verras !

Zahra : Allez va t-en tu vas être en retard. Waw je te crois, moi aussi je t'aime Ibra ! Allez va-t-en !

Une fois la porte refermée, je pousse un ouf de soulagement puis pour la première fois depuis une année entière, je sens l'émotion me submerger et mon corps glisser lentement sur le sol froid de notre entrée. Mon cœur bat à toute allure et mes oreilles me plongent dans un silence assourdissant. Je reste allongée sur ces carreaux pendant près de 2 heures sans pouvoir bouger un seul membre de mon corps. Je suis tétanisée, et prends conscience petit à petit que je viens de perdre connaissance et de glisser dans un vide inexplicable, ... en fait je ne suis pas très sûre de ce qui vient de se passer.  Quand j'arrive à me relever doucement, des vertiges me prennent, mais je me traîne vers mon lit où je retrouve mon meilleur ami et mon confident de cette année : ma fidèle couette.

"Ce n'est pas grave Zahra, tu iras chez le médecin dès que tu peux pour faire un bilan de santé - murmurai-je seule dans mon lit, comme si j'avais peur que quelqu'un puisse m'entendre. En pensant aux aiguilles du médecin, à son stéthoscope froid, à sa lumière dans mes yeux, je tire vite la couette parcourue d'un rapide frisson pour m'endormir et sombrer dans un gouffre immense. - Je me revois petite,  vingt-cinq ans plutôt dans l'arrière cour de la maison de mes grands-parents maternels. Voilà là où tout a commencé. Je me revois, le visage recouvert de larmes, entrain de chercher dans le sable chaud la boucle d'oreilles en or que ma tante m'avait prêtée pour que j'aille rendre visite à ma cousine. Elle a glissé de mon oreille sans même que je ne m'en rende compte. Mes tantes et mon oncle me regardaient d'un air furieux ou plutôt de dégoût, ils me traitaient de tous les noms possibles : voleuse, menteuse, dis-nous ou tu as mis ces boucles d'oreille."

"Si tu ne me remets pas tout de suite ces boucles d'oreille, je te rouerai de coups jusqu'à ce que tu meurs" répétait sans cesse ma tante Nafi. Soudain, de façon brusque je sentis mes genoux se décoller du sol avec violence et le regard de mon oncle Samba dur posé sur moi et mes petites épaules, tel un lion prêt à ne faire qu'une bouchée de moi. J'avais 6 ans.

Je sursautais du lit, en poussant un cri étouffé. Mon front était perlé de sueurs et mon corps brûlant. Ce cauchemar me hante depuis quelques jours, je n'arrive plus à m'en défaire. Je sens encore cette douleur dans la poitrine plus aiguë que jamais. J'essaie de respirer tout doucement en ne pensant pas à ces souvenirs d'enfance qui me submergent plus que d'habitude et que je n'arrive pas à oublier.

Je décide de sortir du lit et de prendre une douche pour me remettre les idées en place et pouvoir vaquer tranquillement à mes occupations. Sous la douche, j'ai des flash de mes camarades à l'école qui me raillaient : "où sont tes boucles d'oreille ? ", "on dirait un garçon", "ah mais tu es moche !". J'arrête l'eau et je sors rapidement de la douche, je me prépare en 5 minutes pour chasser ces mauvaises pensées de ma tête et je sors de la maison direction le Centre Ville.


Dakar est une belle ville, toujours en activité, où l'on croise des visages enjoués, des fois fatigués, sous le chaud soleil.  La presqu'île étouffe sous le poids de la pollution et de ses automobilistes bien trop pressés pour tenir une conduite responsable. Il faut dire que c'est la ville la plus peuplée du Sénégal. 

Elle est d'ailleurs le témoin de beaucoup de rêves de jeunes gens venus chercher la richesse, la réussite sociale, ou rien qu'un vie plus digne en abandonnant leur village respectif et leur famille. 

Assise à l'arrière d'un taxi, je me rends à un entretien que mon cousin Samba m'a dégoté. Le poste ne correspond pas forcément à mon profil, mais je suis prête à tout pour me faire embaucher. Je croule sous les dettes à la banque et ma situation est alarmante. D'ailleurs je ne décroche plus quand ma conseillère m'appelle.

Tout le long du trajet je me répète ma présentation : Bonjour je m'appelle Zahra THIAM AIDARA, j'ai 31 ans et je suis là pour le poste d'Assistante de Direction que vous offrez. "Zahra, il ne faut  surtout pas parler de tes études en Architecture au Canada, ni de ta passion pour le design", me répétai-je tout doucement. "Sois simple et concise, et ne raconte pas ta vie".

Arrivée en bas de l'immeuble, situé à la place de l'Indépendance, je jetais pour la centième fois un coup d'oeil sur le sms de mon cousin: "Slt couz, u as rdv Lundi à 12h30 pour 1 entret1. ville, place de l'indépendance, imm ClairAfrik, 10e étage. Demand M.Cissé. Bone chance boy". 

Je pense que je suis au bon endroit, l'immeuble est gigantesque et magnifique, je souffle un coup, récite mes sourates avant d'accéder à l'accueil et d'appuyer sur le bouton de l'ascenseur.

"Ding", je suis au 10e étage, plus je me rapproche de la porte d'entrée plus mon estomac se noue. Il faut dire que ces derniers mois, aucun de mes entretiens n'a été concluant. Espérons cette fois-ci que ça soit la bonne. "Bismillahi", murmurai avant de pousser la porte. Une jeune dame enceinte m'accueille avec un grand sourire : 

"Bienvenue, je m'appelle Coura comment puis-je vous aider ?". 

"Bonjour Madame, je suis là pour un entretien avec Monsieur Cissé, j'ai un peu d'avance". 

"Merci de prendre place à côté, je vais le prévenir". Elle s'exécute et appuie sur les boutons de son combiné : "Oui Monsieur Cissé, votre rendez-vous est là, d'accord je la fais patienter". "Je vous prie de patienter, il vous reçoit dans quelques minutes."

"Merci", dis-je toute gênée d'avoir 20 minutes d'avance. Je sors mon calepin et commence à griffonner pour faire passer mon stress et un peu le temps. D'un coup je sursaute quand j'entends de loin une voix m'appeler : "Mlle Thiam, Mlle Thiam, Mlle Thiam c'est à vous". Je me suis perdue dans mes pensées, je me lève du fauteuil et lui dis : " merci Madame, c'est Madame Aïdara". 

"Ah d'accord, désolée Madame Aïdara, merci de me suivre, Monsieur Cissé vous attend dans son bureau." 

Elle marche très difficilement, sûrement qu'elle est bientôt à terme pensais-je directement. On longeait ensemble le couloir qui mène au bureau de Monsieur Cissé. Elle toque et m'indique de rentrer en me soufflant "bonne chance". Je me glisse dans le bureau et pris de panique, les émotions me submergent. Son visage n'a pas changé, ses traits fins que je connaissais par coeur au collège se sont adoucis avec l'âge. Elancé, dans un costume qui lui va à merveille, il me tend la main et me dit avec son sourire "Colgate", bienvenue Mlle Thiam chez Capitalize. Je voulais lui dire c'est Mme Aïdara, hélas mes lèvres n'arrivaient pas à se décoller et je feignis un merci avant de prendre place dans son immense bureau meublé avec très grand soin d'un style épuré, chic et contemporain. 

En quelques secondes, je suis redevenue la jeune collégienne de 13 ans, timide, qui n'avait pas confiance en elle. Je me revis avec mon look de garçon manqué, toute maigrichonne assise au fond de la classe pour passer inaperçue. 




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