Ousseynou, dans son ensemble en demi saison, respirait l'épanouissement financier, dans ses yeux d'un miel chaud, on arrivait à lire la réussite et le bel avenir qui lui étaient réservés. Sa voix d'un velours feutré, rassurait et vous baignait dans une confiance inouïe. C'est le même jeune homme que j'ai connu au Collège et au Lycée. Le même jeune homme pour lequel je craquais, mais qui ne m'a jamais remarquée.
"Zahra, je peux vous appeler Zahra ? (je fais oui de la tête) Quelles sont vos compétences pour ce poste pourquoi devrai-je vous prendre vous et pas une autre?"
Les raisons sont en effet multiples ce poste me permettrai de rembourser mon prêt à la banque, de souffler un peu et de sortir la tête de l'eau, les raisons sont infinies, je pourrai enfin ouvrir mon cabinet en mettant de côté de l'argent et enfin réaliser le rêve pour lequel je me suis tant battue. Mais il était hors de question que je lui réponde ça, je me ressaisis et commençais à broder une réponse qui pourrait le rassurer sur mes motivations.
"Monsieur Cissé, je suis très motivée pour ce poste. Je suis l'évolution de Capitalize depuis le tout début et j'ai vraiment envie de faire partie de l'aventure. Je serai à même de représenter votre entreprise et son identité dès que les gens atteindront la porte d'entrée. Je suis aussi méticuleuse et je vous serai d'un grand support dans la gestion administrative et quotidienne de vos dossiers. Enfin je terminerai en disant que je suis très discrète et professionnelle et nous pourrons en toute confiance collaborer ensemble."
Il hoche la tête comme s'il essayait de se convaincre de quelque chose, puis poursuit en me disant : "Vous avez 31 ans, avez vous des enfants, il s'agit d'un poste très prenant." Je sentis encore un frisson me parcourir et une colère monter en moi crescendo. Je lui en pose moi des questions ? Je souffle et essaie de me contrôler. J'ai envie de lui répondre trouve toi un assistant, c'est sur qu'il tombera pas enceinte lui, mais je me ravise sans grand mal. J'ai besoin de cet emploi, je reste concentrée sur mon objectif en lui disant : "Mon époux et moi n'avons pas encore la chance d'avoir des enfants, mais on y pense vraiment. Pour moi la famille est très importante, elle est mon stabilisateur mais ne vous inquiétez pas j'arriverai à m'organiser pour mon travail". Je pense qu'il a bien perçu que sa question me dérangeait. Ses yeux se baladaient partout dans le bureau, cherchant à fuir mon regard qui d'un coup le gênait.
Oops, je pense que mon ton a été trop sec. Et je ne sais pas pourquoi, plutôt que de me faire toute petite je lui demandais de façon beaucoup trop familière : Et vous, vous avez des enfants ? Raide, et empli d'une grande tristesse, il me répond tout doucement :
"Oui, enfin non, c'est compliqué". "Bon écoutez si vous n'avez pas d'autre question je pense qu'on peut s'en arrêter là. Je pense qu'on a fait le tour".
"Non je n'ai plus de question. Merci pour votre disponibilité M. Cissé". Il me serre la main rapidement et me raccompagne à la sortie, j'ai juste envie de lui crier : "Ousseynou, c'est moi Zahra ta camarade de classe, tu ne me reconnais pas ?", mais bon je pense avoir assez foiré cet entretien pour ne pas me faire remarquer davantage.
"Au revoir Mlle Thiam" dit il avec un sourire serré différent de celui du début. Avant même que je ne puisse le corriger et lui dire que c'est Mme Aïdara, il avait déjà fermé la porte.
J'ai l'impression d'être passée sous un train, exténuée je décide de rentrer à la maison plutôt que de poursuivre mes activités. A croire que je ne me sortirai jamais de cette spirale qui me broie littéralement. Sur le chemin du retour, mon portable vibre, je regarde c'est ma mère qui essaie de me joindre. Je ne décroche pas et laisse sonner. Elle va surement me rappeler le baptême de ma cousine ou encore le mariage de sa nièce. Je ne suis pas prête à tenir ce genre de conversation et c'est sûr qu'elle me rappellera à quel point je suis tellement nulle que je n'arrive même pas à décrocher un poste d'assistante.
Le téléphone continue de sonner, sept (7) appels en absence j'arrive à destination et surprise je trouve ma mère sur le pas de la porte, un regard furieux téléphone à la main. Avant même que je ne paie le taxi, elle hurlait toute sa colère :
"Mais Zahra yaw loma yabé, sone si yaw djour la meunou mala wo ba diotla".
En bégayant, je lui réponds :" Maman pardon je n'avais pas vu, j 'étais dans un entretien, mon portable était sur silencieux".
Elle me rétorque avec la même verve: " Wakho deug wonala, ça fait 2 heures de temps malaye wo, dama sonner ba sama tension bi yeq. Oubil bount bi waye." Je m'exécute en tremblant, ma mère est une femme très imposante, qui des fois me fait peur je l'avoue. Une fois à l'intérieur je courus lui apporter un verre d'eau avant qu'elle ne me fasse d'autres reproches.
Dans la cuisine, je verse quelques larmes que je me presse d'essuyer en prenant la bouteille d'eau. Cette journée est vraiment une mauvaise journée que je n'oublierai pas de sitôt. Dès que je rentre dans le salon, je trouve maman très remontée qui me dévisage.
Tiens maman, essaie de boire un peu. Elle prit le verre en continuant de me dévisager. J'étais sur le point de vomir tellement le stress montait en moi. Maman ouvrit la bouche et comme d'habitude les mots qui en sortaient ne jouaient pas en ma faveur :
"Ma latch la Zahra Thiam, khana yeureumoma? Est ce que c'est ma mort que tu veux ? Ou est ce que tu veux me ridiculiser devant tout le Sénégal?"
Moi d'une petite voix, "qu'est ce que j'ai fait maman ?"
Là elle hurlait encore et n'arrivait plus à se contrôler : "guiss nga sa lou bone linga sole, li bane entretien lagnou laye djeul. Koula guiss khep la. Nga def ak sa karaw bi ngaye bayi ni, sa morom yeup di def greffage you rafet. Aye Zahra, khana mane douma sa ndeye. Mane dé beug na kham ndakh yaroumala. Zahra yama meuna teg gatché. Yaw guisso sa morom yi tchi deuk bi. Thiey Yalla , ey mane louma def Yalla."
Maman se mit à sangloter, les mains sur la tête comme si elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, on aurait dit que le ciel allait lui tomber sur la tête.
Je ne pus m'empêcher de sangloter également. J'ai toujours su que j'étais une fille indigne mais cette fois-ci, c'était la fois de trop. J'avais juste envie de fuir très loin là ou personne ne me connaissait ou m'enfouir dans le sol sans que personne ne puisse me trouver. Et comme la petite fille que j'étais je courus dans ma chambre et m'enferma pour pleurer encore et encore sans pouvoir m'arrêter.
Les minutes passaient, et je n'entendis plus de bruit. Le silence commençait à m'étouffer. Je me rendis dans le salon, ma mère était toujours là, plus déterminée que jamais à me faire savoir ce qu'elle pensait de moi, son indigne fille.
Là, maman parlait tout doucement, avec un air exténué : "Zahra, si tu ne changes pas ta vie, et tes priorités, Ibrahima te passera entre les doigts. Personne n'accepte que sa femme soit aussi peu apprétée et aussi négligée que tu ne l'es actuellement. Xalé you djiguen yi nak, djeukeur laniouye woutt, té yaw kou nékha pouss nga".
Cette fois-ci, j'écoutais à moitié ce que disait ma mère, avec les années j'ai appris à me protéger de mots de ma mère. A chaque fois, qu'elle me sermonnait et ce depuis toute petite, je m'imaginais des scènes où elle et moi, main dans la main marchions ensemble toute souriante, le coeur léger. Cette rêverie ne dura pas très longtemps, car maman n'était pas venue aujourd'hui chez moi pour me parler de mon apparence physique. Ses mots me tirèrent de mon monde. "Prépare-toi, on doit aller voir Serigne Moustapha, moul kho li nek si yaw ba meuno djourr".
Les mots de ma mère résonnait encore et encore dans mon esprit. Moi sa fille, sa dernière, je ne pouvais pas avoir d'enfant depuis que je suis mariée. Trois ans que nous essayons de concevoir et ma mère telle l'étrangère qu'elle a toujours été à mes yeux, croit elle aussi que je suis à l'origine de cette absence de vie dans mon ventre.
Comme à mon habitude, je m'apprêtais sans aucun mot, prête à m'exécuter devant cette femme qui a toujours pris les décisions à ma place et que j'aime trop pour décevoir. Néanmoins je pense que c'est ce jour que j'ai pris conscience du déni d'amour qui me liait à mère, la seule personne au monde pour laquelle j'aurai tout donné pour avoir un peu de son amour.
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Précipices
Roman d'amourDepuis l'enfance, Zahra souffre en cachette de manque d'amour. Sa relation ambiguë avec sa mère l'a poussée à se créer une carapace qui la rend indéchiffrable par son entourage. Âgée de 31 ans, elle fait face aujourd'hui à ses vieux démons et son...