L'expédition de recherche sur le mont Min Alnaar durait déjà depuis plusieurs jours et aucun survivant de la précédente exploration n'avait été retrouvé. Tout semblait indiquer que cette dernière avait été anéantie par le temps exécrable de la montagne ou avait péri, avalée par quelques crevasses dissimulée par l'épaisse couche de neige et de glace.
Le vent soufflait avec la même intensité que depuis le jour où ces fous étaient rentrés dans le nuage blanc qui recouvrait le mi versant depuis des millénaires.
- Patron ! Il va falloir se résigner ! Cria un homme dont les épaisses couches de vêtements faisaient ressembler à un yéti. On ne risque plus de les retrouver.
- Avançons encore, il y a peut-être encore une chance ! Répondis le chef de file. Mais pour l'instant essayons de trouver un abri où passer la nuit.
Le manteau blanc qui recouvrait l'entièreté du massif ne laissait entrevoir aucune possibilité de couchage. Malgré la tempête qui ne cessait pas et malgré la densité de la neige qui virevoltait et s'incrustait au fond de chaque être, le groupe pu distinguer une ouverture béante dans la paroi abrupte qui les surplombait. Etrangement, la trouée rocailleuse paraissait bien sombre au regard de l'immaculée couleur extérieure. Plus le groupe avançait et plus chacun de ses membres avait l'impression de se retrouver face à un trou noir, prêt à absorber leurs âmes.
Enfin toute la cordée réussi à se mettre à couvert de la furieuse force des éléments.
- Tc'halat, fait nous un peu de lumière avec ta lent'erhn si tu veux bien. On se posera un peu plus loin de l'entrée, là où il y a moins de vent. Dit le meneur des recherches.
- De suite patron.
Et la lueur fût. La grotte semblait profonde. Des stalactites braquaient leurs pointes gelées vers la tête des explorateurs, laissant s'échapper de temps en temps une goutte de glace qui se déposer au sommet de leurs partenaires opposés. Le rayonnement de la lent'erhn se reflétait dans la glace bleuâtre et semblait allumer les stalagmites environnant.
Le groupe avançait de plus en plus profondément dans l'antre, précédé par la lumière et poursuivi par les ténèbres. L'atmosphère semblait de plus en plus oppressante à mesure que le boyau gelé s'élargissait. Un courant électrique commençait à parcourir le corps de chacun des hommes présents, faisant s'hérisser les cheveux et troublant les esprits.
- Quelle étrange sensation... On dirait comme une onde malsaine... Chuchota l'un d'eux.
- Vous pensez qu'on est arrivé au cœur de la montagne ?
- Je ne pense pas. Mais pour l'instant taisez-vous. Je crois sentir quelque-chose tout devant. Répondit leur chef.
Le chemin continuait, rectiligne et droit. La lueur du flambeau commençait à perdre le bord des parois de verre.
Enfin au bout d'une douzaine de minutes, le premier de cordé s'arrêta. Net.
- Qu'est ce qui se passe ? Pourquoi tu t'arrêtes ?
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La boule de lumière qui enveloppait les explorateurs s'était dissipée dans l'espace de la salle. Les parois qui ne l'avaient jusque-là que reflétées, semblaient maintenant l'amplifier.
Les contours de la pièce et les objets qu'elle renfermait se faisait de plus en plus distincts. Tout d'abord des masses sombres émergèrent des ténèbres, éparpillées sur toute la surface entourant une ombre gigantesque mais pour le moins immobile. Cette dernière apparaissait d'une taille comparable à celle des remparts de Markaz, la capitale du royaume.
L'opacité continuait de perdre d'intensité. Les formes se faisaient plus nettes, plus colorées.
L'horreur put se lire sur les visages quand les aventuriers reconnurent les corps de leurs camarades, noirs, carbonisés, mais déjà recouverts d'un fin manteau de gel. D'autres cadavres traînaient çà et là, déchiquetés, broyés et ramenés à de simples tas de chairs et d'os. Des animaux, ou ce qu'il en restait, gisaient à coté de leur maître ou dans quelques cavités apparemment inaccessibles mais qui leurs avaient servis de cercueil. Un corps attira leur attention. Recroquevillé dans un coin, des armes à ses pieds, il regardait encore d'un œil gelé mais encore plein d'effrois la source de sa mort, la masse sombre.
Puis l'horreur céda sa place à la peur... Une peur atroce, mortelle...
Que disait-on au sujet de cette montagne ? Quelle légende effrayante courrait parmi les habitants de Burukan, la Ville de la Montagne Blanche ?
" Du fond de l'abîme elle s'est élevée,
Elle a fait surgir d'effrayants démons,
Sauvages et redoutables,
Ne laissant que désolation.
Des monstres de feu, de glace et de pierre,
Capables de raser les plus grands royaumes de la terre."
La lumière se fit dans les esprits des explorateurs : la masse sombre devant eux n'était autre qu'une de ces créatures dont les légendes faisaient mention, une de ces bêtes qu'il ne faut mieux pas déranger si l'on veut garder la vie sauve.
Le monstre semblait endormi, mais la prudence exigeait, et toute la raison avec, de filer au plus vite avant que l'odeur de la chair fraîche ne vienne lui chatouiller l'odorat. Le groupe commença donc sa retraite, oubliant par la même la froideur de la nuit et la tempête extérieur, tant ils souhaitaient fuir au plus vite. Ils reculaient avec attention, gardant toujours un œil sur le titan et veillant à ne pas produire le moindre bruit.
Tous les habitants de la région environnante connaissaient par cœur les caractéristiques de ces bêtes qu'étaient les dragons : des êtres maîtrisant la magie des éléments, au sens si aiguisés que même la chute d'une plume et son origine ne peuvent leur être dissimulées.
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Un grognement se fit entendre alors que les explorateurs étaient presque arrivés à l'entrée du tunnel. Ils se regardèrent les uns les autres, essayant de trouver l'origine du froissement qui aurait pu stimuler l'ouïe du monstre. Une éternité passa, à s'observer, à se scruter. Mais rien. La salle était entièrement silencieuse; seule la tempête se faisait entendre à l'extérieur, comme un bruit sourd et continu. Une question s'insinua dans les esprits : était-ce leur imagination qui leur avait joué un tour ? Etait-ce le vent en s'immisçant à travers les stalactites qui avait créé ce mirage ? Non, ils avaient bien entendu un grognement, certes étouffé, mais bien réel; un coup d'œil à ses camarades permettait de le confirmer.
La masse sombre se mit soudain à bouger. Ce fut tout d'abord comme un frisson qui courut le long du lugubre rocher. Puis la pierre sembla se transformer, se déplier, se mouvoir dans un silence de mort. Tous les yeux étaient tournés vers cette effroyable vision.
La tête de la bête apparut d'à-côté de son flanc droit, immense, gigantesque et noire. Une corne se dressait au bout de son museau pointu comme celle d'un Rhyhn'Oceros. D'autres s'étiraient au niveau du cou tel une carapace. De chaque côté de cette tête aussi grosse qu'un chariot marchand, brillaient deux yeux d'un éclat aveuglant. Le monstre se dressa sur ses pattes et sembla vaciller un instant, comme si ses muscles s'étaient pétrifiés durant son sommeil.
Il sembla apercevoir à cet instant les explorateurs égarés, tremblant de peur. La bête sembla se figer lorsque ses sens détectèrent la présence des hommes à quelques mètres d'elle. Le temps s'arrêta l'espace d'un instant...Puis un grognement résonna dans toute la montagne...