Prologue

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- Eh, Mel, c'est l'heure de la cueillette, ramène ta poire !
- C'est toi qui me dis ça ? T'es encore en pyjama !
Elstar, ma meilleure pote, passa sa tête ébouriffée dans l'entrebâillement de la porte de la salle de bain.
Vêtue, bien évidemment, de sa combinaison de crevette.
Elle me jeta un coup d'oeil faussement noir.
- Tu étais donc là... je te cherche partout depuis cinq minutes.
Elle détailla ma tartine, mon bol de lait, mes quartiers de pommes posés sur la baignoire.
- Et tu oses me reprocher d'être en pyjama ? accusa-t-elle en pointant du doigt ma combinaison licorne, sans même me demander pourquoi he mangeais mon petit-déj' dans la baignoire.
- Je suis déjà plus avancée que toi, je suis à table.
- Avancées ou non, vous êtes en retard dans tous les cas, les filles, gronda Belle-Hélène en entrant dans la pièce.
Ma grand-mère, malgré un âge avancé, avait prévu comme tous les ans de participer à la grande cueillette, et avait déjà revêtu la tenue adaptée intégrale. Même ses cheveux blancs, incroyablement fournis, étaient attachés en chignon impeccable.
- Dans cinq minutes, vous êtes dehors, en combinaison crevette ou non.
Sans nous laisser le temps de répondre, elle quitta la pièce.
- J'espère que tu n'as pas l'intention de te faire un bol de la mort, El, parce que sinon c'est nous qui allons décéder.
- Rabat-joie.
- Vieille aigrie.
Tout en continuant de nous insulter, nous expédiâmes notre petit-déj' en quatrième vitesse, passâmes la cinquième pour nous laver et nous brosser les dents et filâmes dehors, tout essoufflées.
La grande cueillette de l'automne est la période la plus importante chez nous, dans notre petit hameau d'agriculteurs. Nous vivons sur les îles flottantes de la Souris-Bélier, un lieu assez contraignant et peu habité, loin de tout, le petit trou du cul du monde, mais franchement, y a pas mieux. Je vis ici avec ma famille depuis toujours, ainsi que quelques autres qui habitent sur les îles voisines, comme par exemple les parents d'Elstar. Ce qui est chouette, c'est que comme ma grand-mère fait office de professeur aux rares enfants du coin, Elstar dort souvent chez nous, et pour la grande cueillette elle vient carrément nous aider à collecter les pommes, puisque de toute manière dans sa famille la cueillette des chous rouges ne se fait pas au même moment.
Bref, c'est le paradis.
- T'es bien feignasse, aujourd'hui,  me lança-t-elle alors que je peinais à courir derrière elle.
- Qui a dû faire une excursion A PIED jusqu'au village terrestre le plus proche pour aller jeter les poubelles, hier ? Rappelle-moi ?
- C'était pas ta mère qui était de corvée ? s'étonna Elstar.
- Si, mais Jean-Yves avait encore déclenché un éboulement suivi d'un tsunami dans la cuisine. Y avait de l'huile et du sirop partout.
- C'est pour ça que tu mangeais dans la salle de bain ce matin ?
- Tu n'avais pas remarqué qu'on ne pouvais pas entrer dans la cuisine ? Ma mère a tout condamné.
- Bien sûr que j'avais remarqué, mais je ne savais pas que ton chat avait encore joué les catastrophes ambulantes.
- Jean-Yves n'est pas une catastrophe, il est juste différent.
J'attrapai une brouette et me penchai pour prendre des cageots. Aussitôt mes fesses courbaturées me hurlèrent de me relever. Je grimaçai pour les faire faire, et tout en menant un combat intérieur contre les muscles de mon postérieur, misles cageots dans la brouette.
- On dirait que tu es constipée, me lança Elstar.
- Heureusement qu'il n'y a que toi pour me voir, alors, grimaçai-je.
- Ben justement, y a ta grand-mère qui nous fait des signes.
Je tournai la tête et vis Belle-Hélène nous faire signe de nous dépêcher.
Excédée, je poussai la brouette a la suite d'Elstar, qui accélerai petit à petit la cadence en ignorant royalement l'irrégularité du sol, qui secouait nos fardeaux comme des fétus de paille.
Je décidai d'ignorer pareillement mes muscles fessiers.
- Tu ne vas jamais tenir toute la journée. Je vais encore récolter deux fois plus de pommes que toi... et ta grand-mère va jouer les raz-de-marée dans les poiriers. Tu sera réduit à l'état d'adolescente INUTILE.
Je savais parfaitement qu'elle me lançait un défi, à savoir d'écraser ma grand-mère à la cueillette de fruits.
Ayant le sang chaud, je me mis à courir pour la dépasser et arriver la première sur le terrain.
Je serais là plus grande cueilleuse de pommes de tous les temps.

Gloire aux pommes !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant