1. Mathias

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1. Mathias

Ça tourne.

Je vous jure que ça tourne.

Ça me prend aux tripes chaque fois que j'y repense. Je m'efforce de ne pas vomir, pour conserver le peu de dignité qu'il me reste. En réalité, ça tourneboule en moi comme dans une machine à laver sur mode essorage. J'ai l'impression d'avoir été happé dans un manège à sensations fortes alors que j'ai le vertige.

Je revis l'annonce de sa mort comme un jour sans fin.

Cette date est à marquer au fer rouge. Depuis, je ne suis que l'ombre de moi-même. Un pantin qui se trimballe un peu par hasard. Un funambule amateur qui manque de se péter la gueule à chaque pas.

Comme toutes les fois où je m'apprête à craquer, je sens la main de Charlotte dans mon dos, dans un ultime espoir de me réconforter. Elle sanglote, démunie face à mon désespoir.

- Arrête, je vais gerber.

Ma remarque acerbe la fait inévitablement reculer et elle court s'enfermer dans notre chambre en pleurant comme une madeleine.

JE devrais pleurer.

Je n'en suis plus capable. J'ai épuisé tout mon stock de larmes.

Elle devrait comprendre que chaque fois qu'elle évoque la disparition de ma mère, je deviens fou. Elle devrait avoir remarqué que sa main contre le tissu de ma chemise n'a que pour seul effet d'accentuer la douleur virulente que je ressens au creux de la poitrine. Ses tentatives de tendresse échouent toujours lamentablement. Je suis vidé de toutes les émotions positives, dénué de tout sourire.

Charlotte ne cesse de me dire que ça va s'arranger. Que je vais finir par aller mieux. Par accepter. J'ai envie de lui rire au nez lorsqu'elle me lance de telles phrases à deux balles. Seulement, je n'ai même plus la force de rigoler.

L'inévitable se produit. En repensant au visage radieux de ma mère, une nausée plus forte que les autres me secoue, me contraignant à épandre ma tristesse dans l'évier de la cuisine.

Ce n'est plus que de la bile.

Je n'ai quasiment rien avalé depuis des jours, après tout. Je ne suis plus capable de mastiquer correctement, alors je me contente de cafés et de soupes en sachet. Charlotte, grande prêtresse du « esprit sain dans un corps sain », me regarde toujours de travers lorsque j'attrape un bol pour préparer mon « repas » du soir.

J'essuie ma bouche d'un revers de manche, les larmes au bord des yeux, mais elles ne daignent pas couler. D'un pas nonchalant, je rejoins la salle de bain, observe mon reflet dans le miroir.

Le néant.

Je n'y vois rien.

Je ne suis plus rien.

Je laisse couler l'eau dans le lavabo, puis je m'en passe sur le visage comme pour tenter de nettoyer mes idées noires. La respiration saccadée, je suis du regard les gouttes d'eau qui ruissellent sur mes joues, telles des larmes. Pris d'un nouveau spasme face à mon reflet pitoyable, je m'éloigne brusquement de la glace et me recroqueville dans un coin de la salle de bain, mes genoux repliés contre mon torse.

La position du fœtus est celle qui me convient le mieux.

Je m'écoute respirer difficilement. Ça me berce.

Je ferme les yeux, m'épuisant à chercher un sommeil qui ne vient plus.

De l'autre côté de la paroi qui me sépare de la chambre conjugale, j'entends les sanglots longs de Charlotte. Je me déteste un peu plus encore pour la rendre malheureuse. Elle commence à croire que je ne fais aucun effort, que je me laisse aller. Elle n'a peut-être pas tort dans le fond. Je ne suis plus le Mathias optimiste. Il a disparu une semaine plus tôt, lorsque l'hôpital de Brest m'a contacté pour m'annoncer que ma mère venait d'être victime d'un accident.

D'un acte de cruauté, plutôt.

Je me relève péniblement après de longues minutes, constatant que les pleurs de ma femme ont cessé. J'ouvre doucement la porte de notre chambre et remarque qu'elle s'est assoupie. Son mascara a coulé le long de ses joues. Ses traits me paraissent tirés malgré l'apaisement du sommeil.

Je me glisse à ses côtés, tentant de ne pas la réveiller. Malgré tout, elle gigote en ressentant ma présence.

- Rendors-toi.

Elle grommelle quelque chose que je ne comprends pas, puis roule sur le côté pour me faire face. Elle rêve de me demander si je vais bien, mais elle sait que je l'enverrai bouler si elle ose me poser une telle question.

Je ne suis pas sûr d'aller bien un jour.

- Tu es pâle, dit-elle simplement en passant ses doigts le long de ma joue.

Charlotte est belle.

Je ne la mérite pas.

Elle aurait dû se marier avec Théophile Germain, le mec plein de thunes qui lui tournait autour lorsque nous étions au lycée. Je suis sûr qu'il aurait su la rendre heureuse, lui. Avec moi, Charlotte ne s'épanouit pas. En choisissant de fréquenter un simple enseignant, elle n'a pas compris quels sacrifices elle faisait. Je ne roule pas sur l'or. Je passe des soirées et des week-ends entiers à préparer ma classe. Je suis en boucle quand mes collègues me saoulent. Mais comme Charlotte est la bonté incarnée, elle se contente de m'écouter avec un sourire tendre.

- Je suis désolé.

Et je le suis. Sincèrement.

Pour tout.

Pour mon état pitoyable.

Pour le quotidien misérable que je lui offre.

- Ne le sois pas. Tout va s'arranger.

Et elle recommence !

J'écarte plutôt brusquement sa main de mon visage et me retourne pour ne plus affronter son regard.

- La vie continue, Mat', souffle-t-elle.

Je la détesterais presque avec ses expressions toutes faites. Je sais pourtant qu'elle ne cherche pas à me peiner davantage. Elle tente simplement de me bousculer pour que j'avance. Elle essaie de déclencher un fichu déclic.

Qui ne viendra pas, j'en suis convaincu.

- Tu as trente ans, mon chéri. Tu... Tu as l'avenir devant toi.

Ses paroles ne me réconfortent pas le moins du monde. J'ai envie d'hurler, mais je me contente d'éteindre la lumière et de mordre férocement la taie d'oreiller.

C'était le vingt-sept mai deux mille dix-huit. Une semaine tout pile.

Le jour où elle est morte.

Le jour où je suis mort avec elle.

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Ouais, je démarre sur les chapeaux de roue niveau émotions, j'avoue xD Mais il fallait bien entrer dans le vif du sujet, non ?

Pour cette histoire, je tente les chapitres courts. Environ 1000 mots (au plus 1500). Et elle sera en double point de vue (ce que j'avais fait avec Boomerang pour ceux qui ont lu cette nouvelle). Un coup Mathias, un coup Axel, que vous découvrirez dès le prochain chapitre !

J'attends vos retours, car même si je prends déjà beaucoup de plaisir à martyriser Mathias, j'espère que ça vous plaira et saura vous transporter autant que ça me transporte lorsque je décris ses émotions !

J'ai volontairement laissé des zones d'ombre, car ce ne serait pas drôle, sinon xD

Et puis... Rien, je vous aime, c'est tout !

A... Bientôt !

A l'ombre des saules pleureurs (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant