Privée d'aimer

Prélude 2 / 2

La jeune femme plongeait dans l'obscurité par intermittence avant de revoir la neige éblouissante. Elle était soulevée à un rythme continu, l'allure de la marche ou peut-être même de la cage thoracique de cet inconnu. Elle entendait les battements d'un cœur calme et posé. Tant et si bien qu'elle finit à son tour par s'apaiser.

— Ne vous endormez pas. S'il vous plaît, ne vous endormez pas.

Il la secoua légèrement et la supplia à nouveau de ne pas s'endormir. Pourquoi ne le pouvait-elle pas ? Pourquoi ne pouvait-elle pas juste s'endormir sans jamais se réveiller ? Elle renonçait à la vie, sa vie.

— S'il vous plaît, tenez bon.

La respiration du jeune homme s'accéléra, ses mouvements devinrent plus amples. La neige ainsi que les branches des sapins délestés craquaient sous son pas rapide. Etait-il en train de courir ?

Julia entendit un déverrouillage, une portière s'ouvrir. Le souffle de l'inconnu se retrouva au-dessus du sien, mais elle était incapable de comprendre ce qu'il faisait. Le cuir d'une banquette froide mordit les parcelles de sa peau dévoilée et lui arracha un gémissement. Un autre manteau s'ajouta à celui qu'elle portait déjà. La portière claqua tandis qu'une autre s'ouvrit. Une musique résonna et les vibrations firent bourdonner les tympans de la jeune femme.

— Je suis désolé, mais vous ne devez pas vous endormir. Ne dormez pas, s'il vous plaît.

La voix devint faible. Elle ne comprit pas à cause de la musique. Un vent froid caressa son visage. La climatisation ? Une fenêtre ouverte ? Elle avait sommeil, tellement... sommeil.

Ses yeux se refermèrent d'eux-mêmes, la chanson changea. Plus rythmée et elle sursauta sur la banquette.

Le vrombissement du moteur s'ajouta à ce vacarme. Les pneus crissèrent sur le bitume. L'odeur du cuir et un effluve familier se dégageaient de ce manteau. Son parfum et le souvenir de celui de sa propre voiture se mélangèrent dans sa tête. Loin de l'odeur infâme de la cigarette ou celle de l'alcool.

Ses yeux se fermèrent à nouveau. Les virages se firent plus rudes. Elle avait l'impression de glisser. Sans relâche, jusqu'à ce que tout se coupe net, il veilla à ce qu'elle ne sombrât jamais dans la noirceur du monde. La voiture s'arrêta, le voyant de la portière s'alluma et filtra à travers ses paupières. Le vent s'engouffra tel un tourbillon. Il murmura quelques phrases qu'elle ne put entendre et à nouveau, la souleva. Puis, le jeune homme la blotti contre lui et l'extirpa du véhicule. La portière claqua bien qu'ils étaient déjà loin, elle en était persuadée. Les yeux clos, Julia n'arrivait pas à les rouvrir.

— Aidez-moi ! cria-t-il dans ses oreilles. S'il vous plaît, aidez-moi !
— Que s'est-il passé ? Suivez-moi ! Êtes-vous blessé également monsieur ?

Quelques minutes plus tard, dans un brouhaha, elle n'entendit plus son cœur battre. Elle reposait sur une surface dure comme la pierre. Des voix tournèrent autour d'elle. On lui ouvrit les paupières. Une lampe l'aveugla et lacéra ses pupilles. Elle baissa la tête.

— Que vous est-il arrivé, Mademoiselle ? Pouvez-vous parler ? Monsieur, je vous demande de sortir. Nous allons nous occuper d'elle.
— Mademoiselle, pouvez-vous parler ? Quel est votre nom ?
— Julia... Farling.
— Que vous est-il arrivé ?

Pourquoi ? Cela ne se voyait pas ? Les marques sur son corps n'étaient-elles pas un indice évident ? Croyait-il vraiment qu'elle allait répondre ? Elle n'en avait pas envie.... Elle ne voulait pas y penser... Elle voulait juste oublier. Qu'on la laisse tranquille, qu'on la laisse seule. Elle se débattit, poussa ce qui se trouvait devant elle, sur les côtés.

— Mademoiselle ! Arrêtez ! Vos blessures sont graves ! Mademoiselle !

Pourquoi criait-il dans ses oreilles ? Pourquoi criait-il ? Sa tête... Sa tête... Elle avait mal à la tête. Son crâne était sur le point d'exploser. Son corps devint lourd. Elle ne possédait plus aucune force et sombra.