Prologue

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       Gauthier entendait des voix distantes murmurer des paroles rassurantes. Il avait l'impression de se trouver dans du coton. Il devinait un matelas trop mou sous lui et les voix devaient provenir des vagues silhouettes floues qu'il arrivait seulement à distinguer. Son cerveau embrumé avait des difficultés à assimiler ce qu'on lui faisait parvenir. Son esprit déviait sans cesse vers l'extérieur. Il s'imaginait parcourant les champs par une belle après-midi d'automne, le vent frisquet lui giflant le visage avant de ébouriffer ses cheveux. Il s'imaginait libre profitant de sa vie. En réalité, il s'imaginait partout en dehors de l'endroit où il se trouvait maintenant depuis beaucoup trop longtemps. Il voudrait s'échapper, voler de ses propres ailes. Mais comme chaque fois qu'il se permettait d'imaginer une vie dont il profiterait, il se rappela que c'était impossible. Impossible à cause de cette douleur insupportable qu'il avait subie chaque jour et de ces machines qui le reliaient à une vie dont il ne désirait plus. Gauthier ne vivait pas, il endurait. Et il n'avait en aucun cas choisi d'endurer. Sa maladie avait petit à petit pris le dessus. Et si les "bips" incessants des machines ne lui avaient pas insufflé pas un souffle artificiel, il se serait laissé aller, aurait plongé dans un monde dénué de souffrances où il aurait sûrement été très heureux. Mais on ne lui avait pas laissé le choix. Alors, Gauthier s'était sombrement battu, et continuait à le faire lors de chacune de ses respirations.

      Mais maintenant, il entendait ces voix. Elles lui disaient qu'il était réveillé. Réveillé. Elles lui répétaient qu'il pourrait très certainement bientôt s'en aller. Sortir de l'hôpital. Revivre sa vie d'adolescent ordinaire. Les médecins, auxquels les voix appartenaient, attendirent qu'il se fasse à l'idée avant de lui faire reprendre son médicament. Il pensa qu'on lui mentait.

      Il replongea dans le sommeil, mais pour la première fois depuis longtemps, il rêva. Et soudain, dans la douceur de son rêve, il sentit une caresse sur son front et une voix veloutée l'appeler.

      L'adolescent se redressa d'un coup, et vit un visage penché sur lui. C'était sa mère.

   — J'ai fait un rêve, dit-il si bas que sa mère dût se pencher pour arriver à comprendre ses paroles.

      Il tourna la tête vers vers la fenêtre, espérant apercevoir un saule et des mésanges apparus dans son songe pour se convaincre qu'il n'était pas si irréel que cela, mais la seule chose se trouvant derrière la vitre était un bâtiment blanc et gris vitré.

   — Raconte-moi.

   — Je... J'étais sur le rebord de la fenêtre, je voulais sortir d'ici... Dehors, il y avait un saule pleureur et des mésanges. Elles me tendaient les bras. Puis, la voix d'une fille m'a appelée. Je ne sais pas qui c'était. Et après... Je ne sais plus.

      À leur surprise générale, une larme nacrée roula sur la joue du garçon. Le garçon n'avait pas autant parlé depuis un bout de temps.

   — J'aimerais m'en aller, maman.

   — Je sais, mon chéri, je sais, répondit-elle sans cesser de lui caresser le front, comme lorsqu'il avait sept ans de moins.

      La mère de Gauthier marqua une pause, et lui fit un sourire rassurant avant de reprendre :

   — À ce propos, j'ai parlé au médecin, tu pourrais peut-être rentrer pour continuer ton traitement à la maison. Bien évidemment, tu dois encore patienter ici un peu, et ça nécessite de prendre certaines mesures, mais si tu le souhaites réellement, nous sommes prêts à le faire.

   — C'est... C'est vrai ?

      Encore une pause dont Gauthier ne saisit pas la signification.

   — Oui, ça l'est. Mais il y a certaines conditions. Tu es un ado obstiné, et on le sait. Mais ce n'est pas pour cela que nous t'accordons le droit de reprendre ta vie bien tranquillement. N'oublie pas que tu es malade. Tu ne peux pas tout faire comme les jeunes de ton âge, j'espère que tu en es conscient !

      Son fils, trop heureux de cette nouvelle, lui jura qu'il savait très bien tout cela et qu'il se tiendrait à carreaux.

   — Et hors de question que j'aperçoive une cigarette dans les alentours, hein ! rajouta la femme en jetant un regard complice vers son fils.

   — Oh, mais bien sûr, Madame ! lui répondit celui-ci en esquissant un sourire crispé.

   — Cela se mettrait en place dans trois semaines. Je sais que c'est long, mais c'était primordial selon les médecins de te garder encore près d'eux un moment. La maladie se rétracte...

      Pour seule réponse, Gauthier sourit et se pencha, pour prendre sa mère dans ses bras, le corps ralenti par la douleur que tous ces mouvements lui infligeaient.

   — Merci...

      Ce soir-là, Gauthier s'endormit un sourire plaqué sur les lèvres avec l'impression de flotter dans une légèreté teintée d'une liberté sans nom.

      Quand il se réveilla le lendemain matin, il eût la surprise de constater que deux adorables petites frimousses l'attendaient, penchées sur lui.

   — Enfin réveillé ! Tu roupillais comme une marmotte ! s'exclama un des deux petits enfants âgés de dix ans.

   — Dis-moi, jusque quelle heure t'as dormi ce matin, Max ? répliqua aussitôt sa soeur.

      Leur aîné ne pût s'empêcher d'émettre un rire étouffé en voyant les jumeaux se chamailler, comme à leur habitude.

   — Arrêtez, et dites-moi plutôt pourquoi vous êtes là ! leur répliqua leur grand frère.

   — Papa et maman ont une grande nouvelle à nous annoncer ! Je vais les prévenir que tu es réveillé, d'ailleurs ! lui répondit Aloyse d'un ton enjoué.

      Quand elle fut partie à la recherche de leurs parents, Gauthier se tourna vers son frère et lui demanda :

   — Sais-tu de quoi retourne cette grande nouvelle ?

   — Arrête de parler comme les grands ! Je crois qu'ils avaient parlé de la fille avec un nom bizarre. J'me souviens plus...

      Gauthier, lui, se souvenait. Ô combien il s'en rappelait ! Lidwine. Un nom tellement important pour leur famille. Ses parents avaient parlé d'une maison d'accueil. Les enfants n'avaient - au départ - pas osé les croire, mais par la suite, ils s'étaient réjouis de cette nouvelle. Pour les deux petits, ça allait être génial d'avoir une grande soeur avec qui jouer. Et pour Gauthier, ça allait être agréable d'avoir quelqu'un de son âge à qui se confier.

      Après avoir frappé trois coups à la porte, ses parents et sa sœur entrèrent dans la pièce, interrompant le cours des pensées du garçon. Ils lui dirent rapidement bonjour, l'air préoccupé.

   — Maxence, Aloyse, asseyez-vous, dit le père de famille en voyant les deux benjamins surexcités tourner autour du lit de leur aîné.

   — Bien, reprit-il lorsqu'ils se furent exécutés. Nous avons une grande nouvelle à vous annoncer concernant la famille d'accueil dont on vous a parlé à plusieurs reprises. Vous savez déjà que c'est décidé, mais tout ça s'est bien accéléré depuis quelques temps.

   — Oui, normalement, Lidwine emménagera chez nous dans le mois à venir, après que Gauthier soit rentré, renchérit sa femme.

   — Vous savez, on compte sur vous pour lui accorder un accueil digne de ce nom. Elle n'a pas eu une vie facile, et c'est une chance qu'on lui offre, pas un fardeau. 


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