Ses lèvres gercées laissaient échapper un nuage blanc qui disparaissait aussitôt dans la nuit glaciale. Elle enfonça ses mains dans ses poches, se maudissant de ne pas avoir pris de gants comme le lui avait conseillé sa mère. La jeune fille n'avait pas pensé rentrer aussi tard. Satané Madame Dubarrat, jura-t-elle en son for intérieur. Sa professeure principale l'avait retenue afin de s'enquérir de son bien-être au sein de la classe. Mais l'adolescente n'avait pas semblé vouloir partager ses états d'âmes. Cela était exclusivement réservé à son carnet qu'elle gardait caché au fin fond de son armoire.
Elle commença à s'agiter, son fessier tout endolori par le froid et la rudesse du banc sur lequelle elle était installée. Sa montre indiquait dix-huit heures trois. Le bus serait là dans une demi-heure, son supplice n'était pas prêt d'être écourté. Elle soupira et ferma ses yeux éteints, désespérant de répondre à l'appel de son lit. La journée semblait vouloir s'étirer à l'infini.
- Eh, t'aurais pas une clope ? lança une voix dans les ténèbres.
L'adolescente frigorifiée revint subitement à la réalité. L'énergumène qui lui faisait face n'était autre que Katja. Une jeune fille fréquentant le même lycée qu'elle, Doc Martens au pieds et éclair provocateur dans le regard. Du crayon noir marquait le contour en amande de ses yeux et son sourcils droit semblait toujours arqué de manière hautaine. L'adolescente et Katja avait toujours été dans les mêmes établissements scolaires sans jamais se parler pour autant. Katja attirait plus les ennuis que l'amitié et ce, depuis toute petite.
- Tu m'as entendu, Maëlle ? s'enquérit-elle.
L'intéressé s'étonna que Katja connût son prénom. Elle pensait être invisible au yeux du monde, évoluer telle une intruse parmi les lycéens. Parfois, Maëlle ne haïssait point cela. D'autres jour, elle aurait aimé détenir ce don social dont tout le monde paraissait être doté. Katja se laissa tomber à côté d'elle en expirant bruyamment.
- Je suppose que la réponse est non. De toute façon, je ne fume pas.
Face à l'expression d'incompréhension de Maëlle, elle ajouta, non sans esquisser un sourire de diablesse :
- Tu m'avais l'air un peu paumée et triste. Je me suis dit qu'il était de mon devoir de voler à ton secours, d'engager la conversation.
Le problème c'était que Maëlle ne souhaitait pas être secourue. La solitude était son refuge depuis bien longtemps, si longtemps qu'elle en avait oublié la chaleur d'une attention.
- T'es pas obligé de me parler, t'sais, déclara la rebelle d'un ton désinvolte, la tête penchée. J'suis assez forte en monologue.
Le silence s'étira. Katja observa Maëlle de ses yeux brillants comme on observe la mer déchaînée et qu'on se demande si on un jour son courroux s'apaisera. Comme un défi.
- J'avoue que j'suis venue ici parce que le mec d'en face (Elle esquissa un mouvement du menton.) me fait carrément flipper.
Le regard de Maëlle glissa vers l'arrêt de bus en face d'elle, de l'autre côté de la route. Un homme d'une cinquantaine d'années avait la tête baissée vers son sac de course qu'il avait déposé sur le sol. On pouvait apercevoir un début de calvitie sur le haut de son crâne. Elle se demanda ce qu'il pouvait bien avoir d'effrayant.
- Il a acheté deux poireaux, regarde, précisa Katja en pointant du doigts les légumes dépassant du sac. Je suis sûre qu'il s'apprête à commettre un crime culinaire... du genre une quiche poireaux-navets, c'est dégueu ce plat j'peux te l'assurer.
Maëlle baissa sa garde et, devant la bêtise énoncée par Katja, elle rit. Un petit éclat inattendu. Il n'en fallut pas plus à Katja pour se sentir fière de son exploit.
- J'savais bien que t'avais un sens de l'humour.
- Je l'entretiens en me racontant des blagues à moi-même, souffla Maëlle, pas très sûre qu'elle voulût se faire entendre.
Son trait d'humour fut cependant bien reçu par sa camarade qui lui rendit un sourire amusé.
- Tu m'plais de plus en plus, Maëlle.
Celle-ci soutint son regard ne sachant que répondre : elle n'était pas habituée à ce genre de compliment. Katja tenta de s'installer plus confortablement sur le banc, en vain. Elle passa la main dans ses cheveux bruns ébouriffés et Maëlle se surprit à la trouver belle. D'une sublimité ravageuse dans le sens où elle vous consumait. D'une magnificence imparfaite qui ne rendait son visage que plus harmonieux. Et pourtant, elle ne rentrait dans aucun des critères de beauté actuelle. C'était ce qui l'émerveilla.
- Autrement t'as pas un surnom ? J'arrive pas à t'en trouver. Mal, peut-être ? Nan, trop diabolique.
Elle fronça les sourcils dans sa quête
- Eh bien, il arrive que ma mère m'appelle "Malou", lâcha-t-elle en haussant les épaules, espérant que cette réponse satisferait la jeune femme.
- Malou ? Comme... Eddy Malou ? ria Katja.
Un sourire flottait sur les lèvres de Maëlle mais, encore une fois, elle ne comprenait pas à quoi elle faisait référence. Katja, attentive à son interlocutrice, remarqua bien vite son trouble.
- Tu connais pas Eddy ? T'sais le mec qui dit "c'est la congolexicomatisation des lois du marché propre" ! expliqua la brune en s'esclaffant.
Voyant que Maëlle ne partageait pas son hilarité, elle dégaina son cellulaire. La vidéo défila devant les yeux surpris de la solitaire. Jamais elle n'avait entendu parler de cet Eddy mais se rappelait bien de quelques "mais oui c'est clair" dans les couloirs du lycée. Cela ne la fit pas rire mais elle esquissa un sourire face à une Katja exaltée.
- Du coup, Malou moi mon surnom c'est Kat si ça te dit de m'appeler comme ça.
Et la conversation s'éteignit à nouveau. Mais ce n'était pas le genre de vide qu'on avait envie de remplir de flots de paroles. Juste un silence ponctué de klaxons et de regards en coin.
Le bus arriva bientôt. Étrangement, Maëlle ne rêvait plus tant que ça de son lit, la proximité de Katja avait fait taire le froid et l'ennui. Mais elle se leva : elle n'allait pas rester ici indéfiniment sans rien dire.
- À la revoyure, Malou.
- Ouais...
Son pied se posant sur le marchepied du bus, elle entendit :
- Tu devrais faire attention, ta jupe est coincée dans ton collant.
L'adolescente vérifia ses dires, les joues légèrement rouges. Pourtant, tout était en ordre. Les portes se refermèrent et, lorsqu'elle releva les yeux, la rebelle était déjà repartie dans l'ombre.
Maëlle se demanda si elle n'avait pas tout imaginé quand elle sentit quelque chose dans sa poche.
Une cigarette et un numéro de téléphone dessus.
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en vrai j'avoue que j'ai écrit ce texte parce que c'est férié, qu'il pleut et que je m'ennuie.
biz
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Interlude Sous L'abribus
PovídkyInterlude : courte pièce musicale exécutée entre deux autres plus importantes. ... ou la rencontre incongrue de deux êtres antagoniques.