Doutes (Partie I)

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Je soupire, et tout en reposant mon corps nu et encore mouillé sur le carrelage froid du mur, je contemple avec tranquillité la bassine à quelques mètres de moi, où trempe mon précédent costume. Tout le sang qui l'imbibe s'est maintenant répandu dans l'onde, offrant, rien que pour mes yeux, un ballet lent et sensuel entre le liquide carmin et la substance savonneuse. Presque inconsciemment je souris. Toute une famille s'agite dans la bassine de ma salle de bain. Tout ce qui reste d'eux. N'est ce pas sublime ? N'est ce pas cruel ? Je me relève avec flegme. Le temps s'était rafraîchi. En arrivant ici, le soleil venait tout juste de se coucher; A présent le ciel doit m'afficher son plus voluptueux minois, le plus sombre, son masque d'encre. Je me lève, jetant un dernier regard à la cuve. Désolé de n'en avoir rien eu à faire du début à la fin. De vous avoir massacré jusqu'au dernier avec la plus méchante des indifférences. De penser que vous n'êtes qu'une tâche sur ma veste. De vous abandonner là un moment, mais vous comprendrez: J'ai un nouveau salaire à dépenser.

Je sors de la pièce en un pas, retrouvant ma petite chambre sous les combles du manoir Wilson. Elle sent un peu le vieux bois, mais je l'aime bien. Après tout, ne suis-je pas le mieux loti de tous les serviteurs ? Profitant du plus injuste des favoritisme, j'ai pu m'accaparer de la plus grande et la mieux chauffée de toutes. Je n'ai pas à me plaindre, de toutes façons, vu le peu de temps que j'y passe. Car, c'est quand le soleil se couche que ma vie commence. Mon travail enfin terminé, je peux m'accorder quelques heures de détente, la bourse pleine et le cerveau vide. Je me poste devant le petit placard grossièrement sculpté dans le bois, et l'ouvre d'un geste sec. Je rencontre mon reflet, sur le grand miroir fixé sur le dos de la porte. Je toise mon corps blanc et dénudé un instant, m'assurant que je sois bel et bien lavé du précédent drame que j'avais causé. Rien. Sans plus de manière, je revêts mon uniforme et m'admire de nouveau. Pas un pli, pas une tâche, une poussière. Tellement adapté à mes mesures, si parfait que l'habit de majordome me donnerait des airs de prince. Je souris en coin. Je dis bien cela parce que je n'en ai jamais vu un.

Les lattes de bois craquent sous mon poids, tandis que mes pas rapides me rapprochent de l'escalier. Tout le personnel est endormi ou parti. Que vais-je faire de ma soirée ? Londres ne fait que se réveiller ! Je pourrai amener le sourire chez une jolie blonde, ou bien.. Je viens de me rappeler que mon pub préféré vient de finir ses rénovations: je vais aller m'enfiler quelques pintes à l'œil.

Uniquement éclairé par les grandes fenêtres, je m'aventure dans la partie occupée du grand manoir, pour atteindre la sortie dérobée des serviteurs, derrière la cuisine. Même si mes heures de service sont dépassées depuis un moment, je ne devrais pas avoir de soucis. Je regarde au loin et aperçois de la lumière s'échapper sous le rai de la porte du bureau de Charles-Henri. Il doit encore travailler tard. Je continue mon chemin et descends d'un étage, celui-ci plus éclairé. Je ne suis pas loin du grand escalier. Pourtant, je vois, à l'autre bout du couloir, une lumière tamisée s'approcher. Je m'immobilise aussitôt. Qui est encore debout à une telle heure ? Paméla s'échappe-t-elle encore en douce pour embrasser son boulanger marié ? Isabelle craque peut-être et va dérober les croissants de demain matin. Dommage, son régime commençait tout juste à servir à quelque chose...

Et non ! C'est une petite souris que je vois s'approcher, un chandelier à la main. La maîtresse de maison aux boucles défaites ne semble pas disposée à s'incliner devant le sommeil. Ce n'est guère étonnant: Yume et moi, nous sommes découverts de nombreux points communs, et les cauchemars en font malheureusement parti. Ce qui m'interroge, en revanche, c'est la raison de sa présence dans les couloirs: Elle profite normalement de ses nuits pour prendre la poudre d'escampette et mener sa petite vie secrète dont je ne connais que des bruits. Pourquoi perd t-elle son temps entre ces murs qu'elle ne connaît que trop bien, à partager le même oxygène de son charmant fiancé obsessionnel ?

Le Londres D'AprèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant