Un saladier de cristal en forme de demi ananas creusé gisait bigarré de ketshup sur la table ronde du salon oriental. J'avais dormi chez mes amis, les frères Chourcoute et Samos, d'origine iranienne, qui sans mes moqueries sur leurs parfums corporels naturellement "fromagé", s'appelleraient en réalité Choucri et Samir. Je leur trouvais toujours des tonnes de surnoms et en faisait les héros de mes bandes dessinées les plus tragiques. On se les faisait tourner pendant les cours de récrée de l'escalier "A" montant aux salles de maths jusque le couloir du refectoire où se trouvaient les salles de techno et l'inutile Charly Robot.
Ce saladier avait maintes fois subi les assaut de l'ogre Choucre d'orge; gentil benet au regard de kazak mongol vissé sur quatre-vingt kilos de muscle depuis la troisième et qui aimait me tirer des balles de painball à bout portant quand je m'entêtais à le charrier devant tout un groupe d'amis. Il m'eut même prit en cavale à travers toutes la ville et durant toutes les berges du fleuve jusque l'extrêmité vers le parc d'attraction pour m'en coller une dans la bidoche. Je savais que je ne pouvais pas échapper à ce teen-terminator des steppes, que j'allai déguster, mais avoir un peu mal pour rire beaucoup: j'ai toujours aimé ça!
Je me réveillai sur cet étroit sofa marocain, dur comme une palette de canettes de soda que Choucre d'orge et son petit frère Samos au pied de fromage descendaient chaque semaine. En écarquillant ma conjectivite du au taux de graisse dans l'air, je vis Samos verser du jus d'orange et du jus de raisin dans l'atmosphère rance du matin d'après festivité. Les habits à laver depuis trois semaines trainaient partout, les déchets de nourritures jalonnaient toutes les pièces créant un sillon vers les autres épaves qui tentaient de reprendre vie en cette maison désertée par les parents.
Jeremy, frais comme, un boudoir trempé dans du lait caillé, débarqua avec un rictus démoniaque et idiot à la fois, d'une des chambres-dépottoires, une bouteille de vodka à la main, pour en glisser dans la liqueur de sucre industriel du pieu Samos. Samir ne buvait pas d'alcool par principe religieux, ou plutôt par éducation ou même conditionnement à cet âge. Jeremy qui se prenait pour un mix de Bieber et Beckham s'y refusait pour parfaire son corps d'Apollon et ses performances aux matchs des samedis après-midi. Ancien obèse prenant une vengeance bien acide sur le régime social des collégiens. Quant à moi, j'y avais vite compris que j'y perdrais plus que mes perceptions naturelles en y plongeant. Ma désinhibition serait probablement forte agréable et drôle, je l'avais déjà deviné, cependant je gagnerais surtout d'être inhibé par quelque chose que je ne désirais pas. Quelque chose de HOUUU Lala mais chut, ça fait trop peur pour en parler tout de suite, comme ça!
La télévision tournait en même temps que son inséparable soeur console qui consolait Choucroute de son manque de conversation -et indubitablement de répartie- son personnage entra dans un bar virtuel et me tenta de gouter à l'horrible mixture sur zebrures de ketchup qui marquaient l'insistance avec laquelle Choucroute badigeonnait son kilo de frites à trois heures du mat. Un vrai rituel.
"Allez ! Je bois, je m'arrache la gorge et je vois ce que ça me fait."
Certains se disent dôtés de pouvoirs extralucide. Je ne crois pas au don. À la lucidité oui. Ces personnes n'ont souvent aucune idée de ce que médium signifie.
Être médium c'est être un média, être un média c'est être un moyen. J'ai appris qu'en espagnol, "oune médzia !" c'est un moyen et "El médzio, chico !" c'est "le milieu, gamin !"sur un terrain de foot par exemple. On est le moyen de qui? Le milieu de quoi? Quand on est médium.
Je me posai toutes ces questions en regardant Jeremy forcer sur la farce dans le dos de Samir, qui pied nu marchait sur des tas de saletés (de quoi me donner envie de vomir, je déteste les pieds même si les siens sont je le reconnais très esthétiques pour un garçon) tandis que le personnages de Choucroute faisaient un carnage au lance grenade en discothèque.
Jeremy avait mis la dose, j'avais la tête dans le cul, il suffisait qu'il me sourit pour que je m'attèle à le plus idiotes des conneries. Si spontanément je prenais le saladier et l'ingurgitait aussi répugnant soit l'acte, je le marquerais à vie d'un excellent souvenir! On réfléchissait pas mal comme ça! Et on avait raison! Or, ce n'était plus spontané, j'avais déjà trop joué la scène dans ma tête. Autant laisser Samir être le larron une fois de plus même si cette fois je trouvais qu'on allait vraiment l'énerver pour des semaines. Le pieu faux marocain comme il le clamait lui-même, adulateur de son bon roi dont il ne saura jamais rien!
Nous avions quinze ans. Eux en fait. Moi quatorze. Choucroute seize. Donc seulement Jeremy et Samos avaient quinze ans. Nous pensions beaucoup à la mort dans nos rares moments de philosophie, ce qui nous faisait beaucoup, mais alors beaucoup, profiter de la vie.
Ceux qui disent qu'on est un canal pour parler aux morts quand on est médium, même avec l'expérience d'un million de contacts, n'ont aucune idée de quoi ils parlent. Surtout s'ils ne disposent pas du SaVoir. Avec un grand S et un grand V. Le Sa Voir. La Sage Vision.
Être médium, rêver de gens qui existent et qu'on a encore jamais vu, avoir des flashs en touchant et goutant n'importe quoi, voir l'avenir dans un regard ou une parole, savoir le passé en se plaquant contre un mur ou en posant un objet dans un coin, ce n'est pas à la portée de tout le monde, c'est à la porte de toutes les folies.
VOUS LISEZ
Mauvais Medium
HumorJe ne crois pas aux dons, Je ne crois qu'à la perception, quand tu perçois quelques choses, tu l'atteins. J'ai perçu beaucoup de conneries et d'ironie du sort dans le sens de la vie, Est-ce que le but c'est de trouver ça drôle au lieu de s'apitoyer...