J'entends.
Le morceau commence, le rideau s'ouvre, l'histoire débute.
J'écoute,l'aiguille et son tic-tac incessant, ce métronome guidé et rythmé par le temps.
Je discerne le sifflement d'une feuille que l'on coupe soigneusement entre deux morceaux de fers serrés.
Je saisis le craquement de la mine d'un critérium qui se casse sous la pression de doigts puissants.
Je perçois la pluie qui cogne contre les vitres sales et qui s'infiltre par les tablettes.
Je distingue l'eau qui coule dans le radiateur, à l'origine de ces notes continues.
La voix du professeur se fait soudainement plus forte. Elle résonne dans la classe, tressautant et déraillant de frustration et de colère. Essayant de me faire parler, il monte crescendo, pensant peut-être que sa voix ferait apparaître la mienne.
Il crie... Je finis par m'avancer jusqu'à lui, et, surpris que je réagisse enfin, il stoppe tout mouvement et se tait. Je m'arrête à quelques centimètres de son bras et arrache la craie de sa main devenue blanche à force de la serrer. Mon geste le sort de saléthargie et ses cris d'incompréhension reprennent de plus bel.
Je me dépêche alors de marquer au tableau, le mot tabou, mais qui reflète ma condition...
«MUET»
Un bruit horripilant envahit alors mes oreilles, lorsque l'instituteur se saisit de mon bras qui écrivait, terminant mon «T» dans une grande ligne coupant le tableau et faisant crisser la craie sur ce dernier.
Puis,vint le silence. Lourd. Pesant. Oppressant. Un silence qui vous glace le sang et qui vous laisse seul.
Seul sous ces regards qui jugent et critiquent.
Seul et triste.
Seul.
Le morceau reprend soudain par des chuchotements assourdissant, et certains rires tels des staccatos coupant un air legato, fusent dans la pièce. Car après le silence, il ne peut y avoir que le bruit.
Alors, pour terminer cette partition, pour clôturer le spectacle, pour finir ce chapitre, la voix vocifère à nouveau. Elle hurle pour demander le silence et crie pour faire taire.
Et puis, le bruissement d'un tissu, les battements de pas qui courent, une porte qui s'ouvre en grinçant avant d'être claquée violemment et des sanglots silencieux.
Là,dans le silence glacial du couloir, comme l'adolescent esseulé et rempli d'angoisse que je suis, je me laisse glisser contre le mur dans un frottement lasse.
D'un geste rageur, j'essuie mes joues humides de larmes.
L'envie de crier, de hurler, de faire entendre ma souffrance - alors que cela m'est impossible – me met dans une rage inouïe.
Je me mords le bras pour faire taire cette amère douleur dans mon cœur. Il bat si fort, si bruyamment, comme pour remplacer ma voix...
Mais il n'y a que moi qui puisse l'entendre, il n'y a que moi qui puisse constater les dégâts.
La basse, joue de plus en plus fort contre mes côtes, les vents s'emballent et il me semble que la Terre se met à danser autour de moi.
Un bourdonnement soudain se fait entendre et s'amplifie de secondes en secondes.
Ma tête claque contre le carreau du carrelage dans un bruit sourd.
Et le froid de ce dernier semble calmer ma respiration et diminuer les battements de mon cœur.
Mes paupières se ferment alors tranquillement sur mes yeux vides et secs.
Le néant a à présent envahie mon esprit et le désert a remplacé mes sentiments. Je ne suis plus qu'une coquille vide.
Alors, petit à petit, l'image de la personne la plus chère à mon cœur se dessine telle une esquisse derrière mes yeux clos.
Un visage prend lentement forme, des traits fins, doux et souriants. Seuls ses yeux d'un bleu turquoise, trahissent ce visage d'apparence si calme, la lueur de panique et de douleur faisant briller ses prunelles, gâche ce dessin souriant.
Son bras se tend vers moi pour caresser ma joue, mais ses traits secrispent sous la douleur qu'a engendré son geste.
Elle tente d'attirer mon attention sur son visage en capturant mes yeux avec les siens...
Malheureusement il est déjà trop tard, je vois le sang couler de son abdomen transpercé par le frein à main.
De son bras suspendu entre nous, tremblante, elle relève mon menton et avec ses dernières forces me parle d'une voix claire.
Elle me dit que tout ira bien, qu'elle m'aime, qu'elle est désolée...
La sueur perle sur son front.
Je reste là, sans bouger, paralysé par l'horreur de la vision qui s'offre à moi.
Puis, dans un dernier mouvement, sa tête oscille avant de tomber. Elle frappe la portière défoncée,dans un craquement inquiétant.
Alors j'appelle, mais elle ne bouge plus.
Alors je crie, mais elle ne fait plus aucun geste.
Alors je m'égosille, mais elle ne réagit pas.
Alors je hurle, mais elle est morte.
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La playlist de ma vie
Teen FictionBienvenue dans la vie d'Adam. Cet adolescent, qui, comme la plupart de ses congénères, est perdu, dans l'attente de cet événement qui bousculera son quotidien à jamais. Celui qu'il faut provoquer et qui nous met plus bas que terre afin de nous perme...