Chapitre 2

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Elle a des yeux gris. Gris, tel le gris d'un mur bétonné, un mur qui nous bloque l'entrée de son esprit. Qui nous garde en dehors de son cœur et nous laisse à l'entrée de ses pensées...

Je l'observais toujours, détaillant les traits de sa peau lisse et pâle, presque blanche, tandis qu'elle rigolait doucement avec quelques filles, le bras musculeux de celui qui devait être son petit ami, autour de ses frêles épaules.
Sa chemise blanche laissait deviner une jolie poitrine et un dos cambré, elle était rentrée dans sa jupe bleue. Cette dernière s'arrêtait au-dessus des genoux,laissant à la vue de tous, la peau immaculée de ses jambes fuselées. Et au bout de celles - ci se trouvait deux petits pieds fins enfermés dans une paire de chaussures bleues marines.

Je la détaillais ainsi du regard pendant de longues secondes, assis à même le sol.
Le monde autour de moi continuait de s'agiter en tous sens alors que soudain, nos regards se croisèrent. Ses yeux semblaient aspirer tout mon être. Et pendant quelques secondes, je me sentis comme apaisé, mes muscles si crispés habituellement s'étaient relâchés.
Elle sourit, un sourire bienveillant, qui fait se plisser la bouche en un arc parfait.

La cloche sonna...et ce son, violent et cruel, nous arracha à ce moment si calme.
Elle fut appelée, pendant que dans mes tympans résonnait toujours, stridente, la sonnerie. Et quand on me tira le bras, si fort que je le sentit craquer, je relevai la tête et compris que la tempête commençait. Une fois debout, mon sac dans la main de l'arracheur de bras, je regardai une dernière fois en arrière mais elle était déjà partit.

***

<<On peut dire que ton année commence bien ! Sécher les cours le premier jour... toutes mes félicitations ! Ça n'était encore jamais arrivé! Et pourtant, des garnements dans ton genre, on en a eu !>> me sermonna Mr Devilier, proviseur depuis une vingtaine d'années au lycée Saint Georges.

"des garnements dans mon genre"... qu'est-ce que cela signifiait ? Au fond... je suis juste de ceux qu'on ne cherche plus à comprendre. De ceux qu'on laisse sur le bas-côté et qu'on abandonne de peur qu'ils nous ralentissent. Je ne peux blâmer personne. Qui a envie de sincèrement aider une personne mal dans sa peaux ? Lorsqu'on est heureux, se sentir tiré par le bas par des personnes dont le passé est trop lourd... À quoi bon? Après tout ... ce n'est pas de leur faute non?

Le proviseur se décida à me dénombrer tous les "cas dans mon genre" qu'il a "maté" depuis qu'il a débuté sa carrière....

Mais je ne l'écoutais déjà plus. Perdu dans mes pensés...

Je me trouvais présentement dans son bureau. Les murs couleur taupe présentaient plusieurs photos de lieux plus ou moins connus dans le monde, où l'on voyait sur chacune d'elles apparaître le faciès de notre cher monsieur Devilier souriant béatement. Contre le mur du fond de la pièce, à côté de la fenêtre qui délivrait une douce lumière de début de soirée, se trouvait une petite étagère à trois portants. Sur la première, étaient entassés, une quantité astronomique de petites babioles, souvenirs de voyages certainement. La deuxième dévoilait une famille heureuse et épanouie à travers des cadres photos gris et noirs. Et enfin le dernier arborait fièrement, quelques trophées de natation, signe que l'homme se trouvant devant moi n'avait pas toujours eu ce ventre de buveur de bière ni ces joues biens rebondies.

«Vous écoperez de trois heures de colles, soit, autant d'heures que vous avez séchées...!»

Une fois son monologue terminé, il m'indiqua la sortie avant de me prévenir qu'il rappellerait mes parents.

***

Sur le chemin du retour, tout en marchant d'un pas lent et monotone, j'admirais les cerisiers, en fleurs à cette saison. L'odeur du pollen, qui obstruait l'aire et faisait tousser quelques personnes empruntant ce même chemin, me chatouilla également les narines. Mon sac, pesait, sur mes épaules couvertes d'un sweat kaki ouvert sur un tee-shirt un peu trop large et un peu trop usé portant l'inscription maintenant à peine lisible: «Nirvana». Ce dernier, tombant mollement sur une paire de jeans brut délavés, aux bas déchirés qui frôlaient eux-mêmes une paire de veilles baskets noires et blanches.

J'arrivai enfin devant la grande porte d'entrée en bois massif, qui délimitait ma vie publique de ma vie privée. Quelques pas, une clenche et un tapie plus loin, j'étais chez moi. Après avoir enlevé paresseusement mes chaussures puis les avoir posées sur l'étagère prévue à cet effet, je regagnai ma chambre à l'étage sans passer par la case cuisine. Je n'avais jamais faim une fois dans cet maison,mais plutôt un mal de ventre continue, une sorte d'angoisse permanente qui ne cessait qu'une fois sorti de ce lieux pour moi cauchemardesque.

J'avais bien vite remarqué l'absence de mon paternel. Aucun bruit, encore et toujours ce silence continu. C'était à la fois un soulagement infinie et une profonde peine. Moins de violence mais plus de solitude.

Je fini par m'endormir sur mon lit, tout habillé et entouré seulement d'un devoir maison de mathématique et d'exercices de latin et d'anglais, le tout à peine terminés dix minutes auparavant. Il n'était pas question de se prendre une heure de retenu de plus pour un simple travail incomplet. Et ce, malgré mon manque de sommeil évident que prouvaient les deux demi-cercles violacés qui trônaient sous mes yeux ternes d'un vert foncé.

«craque...craque...craque...craque...»Ce bruit continu, envahissant mes oreilles, me réveilla brutalement.

«craque...craque...craque...craque...craque...»Comme chaque nuit, il se répétera 26 fois exactement.

«craque...craque...craque...craque...craque...»Ma respiration devient lourde, mon cœur s'emballe.

«craque...craque...craque...boum...»Un gémissement, une insulte, et le tempo reprend.

«craque...tic...craque...tic...craque...tic...craque...tic» Il arrive. Monte. Lentement. Lourdement. Claudiquant.

«CRAQUE...CRAQUE...CRAQUE...CRAQUE...CRAQUE»Fatigué, irrité, apeuré et surtout lasse, je sais qu'il a finit de monter les escalier et que la dernière étape est la porte qui nous sépare.

Puis elle s'ouvre, dans un immense fracas, elle cogne violemment le mur,agrandissant une fois de plus le trou formé par ces coups.

L'homme rentre, titubant, l'allure avachie et les mains tremblantes.

Il s'approche, doucement, une rage profonde marquant ses traits. Un nez droit, une bouche aux lèvres fines et pincées, le teint blafard et des cheveux tombant sur un front plein de sueur. Il porte une chemise noire trempée de sueur sur une veste brune tachée d'un liquide non-identifié et dont les manches relevées au trois quart,dévoilent deux gros bras musculeux et rêches. Son pantalon de costume est en piteux état, sale et froissé. Ses chaussures noires sont les seules éléments encore correctes dans sa tenue. Une odeur nauséabonde d'un mélange de cigarette, d'alcool, de sueur, de sexe et d'autres substances inconnues frappe mes narines de plein fouet et me donne un mal de tête infernal.

Je retiens mon souffle alors qu'il arrive devant mon lit. Mes yeux à peine entrouverts, sans aucunes protestations, je me laisse attraper par ses grosse mains poisseuses et rudes. Mon cou enfermé dans cet étau répugnant, est soudain secoué. Ma tête est balancée contre les barreaux de mon lit et la douleur irradie tout mon être. Dans ce silence assourdissant, seulement ponctué de coups étouffés par des murs oppressant, je ne pense plus à rien. Les flux de mes réflexions sont arrêtés par ces coups violents et continus. Un liquide chaud coule de l'arrière de mon crâne et s'insinue dans mes vêtements, imprégnant ces derniers et les colorant en rouge.

Enfin, après un dernier soubresaut de mon corps sur le matelas lorsqu'il me relâche, je ne bouge plus. Tous mes membres me sembles lourds.

Les idées emmêlées et les sens détraqués, j'entends à peine la porte se fermer.

Avec mes dernières forces, en constatant que je ne suis pas encore tétraplégique, je me recroqueville sur le côté, soulageant mes hématomes crâniens du poids de ma tête. Et je peux ainsi, enfin trouver le sommeil, «c'est fini» me dis-je, jusque demain du moins...

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⏰ Dernière mise à jour : May 14, 2018 ⏰

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