Chapitre 1

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  • Dédié à A.N.
                                    

Les portes du train se referment et je vois la campagne s'éloigner au fil des secondes. Nous sommes en hiver et les champs sont couverts de neige livide, cette poudreuse si dense qu'elle ne laisse même pas respirer les épis de maïs glacés. Comme tous les matins, je m'assois près de la vitre, ma tête collée à cette dernière, écoutant de la musique. J'aime ce sentiment de liberté qui m'emplit à chaque fois que je prends le train. Ma liberté se résume à ça : écouter de la musique dans un train, tête colée contre une vitre froide. C'est ma liberté. Alors que j'étais plongé dans mes pensées, une jeune fille d'environ mon âge s'assoit juste en face de moi. Elle a les traits fins et réguliers, des cheveux bruns - bien qu'ils aient des reflets blonds -  et des yeux bleus qui en feraient tomber plus d'un. La douceur de son visage m'éblouit ; comment une fille peut-elle être aussi belle ?  J'aimerais tellement lui parler, ne serait-ce lui dire qu'une phrase, mais je n'ose pas. Je sue sang et eau et tout mon être est pétrifié à l'idée de faire trembler mes cordes vocales pour en sortir un son. Mon coeur bat la chamade sous mon sweat bleu, c'est bien la première fois que cela m'arrive.

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"Julien, debout !"  sont les premiers mots que j'entends ce matin. Il est 7h40 et je suis toujours allongé dans mon lit, ma couverture chaude en contact avec ma peau. Dehors, les premiers rayons de soleil font leur apparition mais restent éphémères, les nuages blafards recouvrant la majorité du ciel. Je m'apprête à me lever quand je repense à elle. Cette fille que j'ai vu dans le train, l'autre jour. Depuis, je ne l'ai pas revu une seule fois. Pourtant, je prends le train tous les matins pour me rendre à mon lycée. Mes parents et moi habitons à la campagne, à environ 30 minutes de Limoges. Chaque matin je dois me résigner à me lever plus tôt que tous les autres lycéens afin d'arriver à l'heure. Des fois, je déteste mes parents pour avoir fait ce choix : vivre à la campagne et non en ville. Tout aurait été plus simple. Il n'y a aucun élève qui prend le train à part moi, je me sens seul chaque jour. N'avoir personne à qui parler dans un endroit rempli de monde : c'est ça la solitude. Quand je me décide enfin à m'arracher de mon lit, j'entends le bruit strident d'un train allant à vive allure. Mes oreilles me font mal à ce moment-là. L'avantage d'habiter à la campagne est le silence, non ?

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Le quai est rempli de gens étranges. À ma droite se trouve un homme fort d'une quarantaine d'années. Bien que je sois à environ 5 mètres de lui, mon nez arrive à percevoir son odeur infecte de tabac et d'alcool. Zeus est contre moi aujourd'hui ; à peine entré dans le train, l'homme me suit et s'assoit à côté de moi. Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Cela s'apparente à de la torture. J'essaie d'oublier cette odeur nauséabonde en me plongeant dans un livre. La musique n'étant pas mon unique passion, je lis beaucoup également. La lecture est une sorte d'échappatoire pour moi. Elle me permet de voyager, à moindres frais. Pourquoi dépenser des fortunes pour voyager quand le bout du monde est au bout de nos doigts ? Lire n'est pas seulement un loisir, lire est une partie de moi. Chez moi, je collectionne les livres. Je dois en avoir une centaine à seulement 16 ans. Des fois, je ne me sens pas normal. Je ne me sens pas comme tous les autres garçons de mon âge qui préfèrent le sport à la lecture et à la musique. Je ne me comprends pas moi-même, et je ne comprends encore moins les autres.

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