Chapitre 1

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Dans la coursive où j'attendais prostré dans le silence, un coup brusque à une poignée de porte est venu mettre un peu plus au garde-à-vous les gardiens qui m'escortaient.

Un grincement s'est fait entendre, porté à l'infini par l'écho.

Au fond du couloir, derrière la lourde porte bleue qui s'était entrouverte avec véhémence, s'est élevée une voix grave, qui se voulait solennelle :

« Faites entrer Monsieur d'Orléans ! »

Les deux gardiens qui m'escortaient se sont empressés de s'exécuter de ce pas de l'obéissance routinière qu'on ne connaît qu'aux gens d'armes, et j'ai été introduit dans le bureau du directeur resté à ranger des documents dans une armoire métallique, derrière la porte.

Son indifférence au « Bonjour, Monsieur », que m'avait dicté l'usage, eût pu s'apparenter au mépris, si je n'avais présumé qu'à l'Administration chacun se prévaudrait à mon endroit de quelque offense ressentie de façon toute personnelle, depuis cette affaire d'évasion.

L'homme en imposait par sa carrure, regagnant son fauteuil de l'allure de Robocop. Il avait les traits irréguliers, le nez quelque peu cabossé, les yeux avinés ; sa physionomie était sans doute pour quelque chose dans cette réputation de dur dont il jouissait parmi les détenus, qui croyaient savoir qu'il était un ancien de la Légion Etrangère, qu'il s'était fait une virginité au regard de ses états de service dans les Balkans : le voici maintenant, faisant une carrière, certes irrésistible, mais honorable, dans la prospère pénitentiaire !

Cherchant à me diriger vers l'une des deux chaises qui se trouvaient devant le bureau, j'ai été arrêté d'une voix lugubre : « Restez debout, ce sera bref ! »

Plongeant sa main dans un des tiroirs latéraux, l'Administrateur en a extirpé une pochette jaune, qu'il a jeté sur son bureau d'un geste brusque.

Le mince dossier agrafé qui s'y trouvait a été machinalement feuilleté et examiné.

Il en est revenu à la première page pour m'en donner lecture d'une voix rude, éraillée, monocorde, que trahissait un fort accent cosaque, me jetant de temps à autre un regard sévère, vindicatif, comme s'il eût voulu marquer un peu plus la gravité du contenu de l'acte dont il me donnait lecture.

Puis, le document m'a été présenté pour signature. Je me suis exécuté, menottes aux poignets, sans affect, griffonnant du mieux que je pouvais un semblant de paraphe au bas du document. À quoi me servirait-il de briser le silence que je m'étais fixé ?

À l'issue du monologue de l'autorité carcérale, mes implacables gardiens ont entrepris de me faire dévaler les escaliers menant au sous-sol, me faisant longer un couloir sombre, dont s'exhalait l'humidité ; il me semblait interminable.

Les claquements des portes des grilles métalliques séparant les différents quartiers me rendaient encore plus perceptible l'agacement de l'Administration.

Au bout du couloir, se trouvait une petite porte cloutée ; un des gardiens qui me précédait est allé l'ouvrir avec empressement, tandis qu'un autre m'ôtait les menottes : c'était ma nouvelle cellule, une piécette, sombre, sinistre, tenant plus du cagibi que de cellule. S'y trouvaient un petit lit avec sa paillasse, un lavabo, un W.C.

Au fond de l'ergastule, tout au haut du mur, il y avait une petite lucarne ouverte, protégée d'un double grillage fait de barres métalliques toutes rouillées. La brise qui s'y engouffrait était frais ; mais la fermeture de la porte derrière les gardiens a vite mis fin au courant d'air qui s'était formé.

Voilà comment m'a été signifiée ce matin même, la mesure administrative d'isolement prise à mon encontre, en attente des conclusions de l'enquête judiciaire.

Cela, en effet, a été bref !

Quand on m'avait fait chercher pour me signifier ma mise à l'isolement, un des gardiens m'a indiqué les quelques affaires à emporter ; j'ai demandé à y joindre un stylo et ce qui me restait d'une liasse de papier grossier dont j'avais fait provision pour ma correspondance.

Cette faveur m'ayant été faite sans difficulté, me voici en face à face avec mon tas, claquemuré, bien disposé à divaguer par-delà même l'emmurement.

Itinéraire parisien d'un dandyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant