Chapitre 2

14 3 0
                                    

Prétextant un rendez-vous en ville. En vue d'un petit boulot ! Danielle quitta Cap-Rouge au premier chant du coq annonçant l'aube, pour se porter au-devant du jour. En direction de Jacmel.

C'était un lundi de Toussaint.

Danielle avait perdu l'ingénuité de ses seize ans.

Sans doute s'était-elle fait une belle résolution pour quitter la maison parentale d'une telle allure, et de si bonne heure.

Sur la grand-route menant à Jacmel, la douceur du petit matin lui avait presque ramené cette insouciance ingénue qui l'avait quittée depuis qu'elle s'était retrouvée face à l'évidence tant redoutée.

Dans les premiers moments, c'était comme il en va toujours de ces tentatives désespérées de l'affolement, qui font user force bottes de persils, moult noix de coco au lait, mille tisanes de toutes sortes d'herbes.

Danielle avait bien sûr accompagné chaque prise de formules connues, de gestes bien réglés.

Aussi avait-elle ingurgité toutes autres choses auxquelles le savoir vernaculaire prêtait mille vertus abortives.

Hélas ! Le miracle ardemment désiré, tant attendu, qui eût fait disparaître la grosseur de ventre naissante, ne s'était point fait jour.

Sinon, par mille artifices, Danielle avait réussi à dérober la bosse de l'évidence au soupçon familial. Aux regards indiscrets, de plus en plus appuyés, de connaissances et amies. Voire à la perfidie piaillarde de la vieille voisine, une vague cousine de son aïeule, vivant en contrebas du grand chemin, qui n'avait trop voulu croire ses yeux experts, renfrognés, mais qui restait bouche bée à chacune des apparitions de la jeunette, interdite devant ce qui lui paraissait déjà les prémices d'une grossesse à n'en plus finir, qui amènerait tôt ou tard la désolation parentale.

Sur la grand-route menant à Jacmel, Danielle était toute à ses pensées. D'ordinaire si pétulante et enjouée, si taquine et affable, elle ne savait trop donner le change aux unes et aux autres de ses connaissances rencontrées en chemin.

Longeant de près les haies bordant les champs, la fraîcheur matinale lui était agréable, revigorante.

Faussant compagnie à d'autres paysannes qui cheminaient en direction de Jacmel avec la corbeille pleine sur la tête, Danielle prit à la dérobée un petit sentier de raccourci, pour être seule avec elle-même ; elle s'enfonça ainsi dans une plantation de bananiers, d'orangers et de mandariniers en compagnonnage, tout pliants de leurs grappes jaunes. La rosée perlait un peu partout sur le feuillage en grosses gouttes fraîches. Il doit en être encore à Cap-Rouge de ces petits matins, aux odeurs indélébiles, qui imprègnent la vie, comme celle de cette fine pluie sur la terre rouge, ou encore ces senteurs exhalant d'un champ de petit mil et de pois-congo en compagnonnage au détour du grand-chemin, annonçant d'autres saveurs à venir en leur temps, immanquables, goûteuses, inoubliables.

Il fallait éviter d'éveiller le soupçon parental, Danielle avait pris avec elle les quelques affaires personnelles lui paraissant praticables à cet effet ; elle avait soutiré du fond de la vieille malle paternelle son acte de naissance et son certificat de fin d'études primaires, s'étant dit qu'elle ne reviendrait peut-être plus jamais sous le toit parental. Elle avait surtout hâte d'avoir cette explication. Entre quatre yeux ! Toute décidée qu'elle était à aller affronter le malotru déguisé en bourgeois qui lui avait fait cette belle merde.

S'y était-elle enfin sentie prête, ou n'en pouvait-elle plus de dissimuler ? Allez donc savoir !

« Cette ville a bien des autorités, non ? se disait-elle. Faut voir ! »

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Apr 18, 2018 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Itinéraire parisien d'un dandyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant