23 octobre 1969
ELIJAH
Les genoux ramenés contre moi, je suis assis dans le grenier. Mon cœur, brisé en mille morceaux, bat si fort qu'il camoufle presque les hurlements de mon frère, à l'étage du dessous. J'aimerais que ce soit le cas, au moins je n'aurais plus à entendre les paroles complètement folles de Jilian.
Aujourd'hui, mes parents lui ont annoncé qu'il est malade et qu'il a besoin de se faire soigner. Je ne sais pas s'ils ont bien fait de le lui apprendre ainsi. Je n'y connais pas grand chose à la psychologie mais je ne pense pas que brusquer un futur patient en lui disant qu'il est fou et qu'il va aller dans un asile soit vraiment à faire.
Je sais que vu les horreurs qu'a commis mon jumeau, je ne devrais pas essayer de me mettre à sa place car après tout il a détruit ma vie pour son plaisir personnel. Pourtant je me dis que si ma famille me traitait de dingue et que je n'étais pas en capacité de me rendre compte que c'est le cas, je me sentirais probablement incompris, persécuté et en colère.
Cela, malgré tout, n'excuse pas le fait qu'il ait tout cassé dans la maison, ni même qu'il ait menacé la vie de mes paternels.
Voilà des années que je vis un cauchemar éveillé. Celui-ci a commencé quand Jilian m'a arraché celle que j'aimais, puis il a continué avec la mort de mes amis. Mon monde est soudainement devenu sombre et il m'est devenu impossible de retrouver la lumière qui m'entourait autrefois. Ma famille et moi-même avons dû fuir car nous étions montrés du doigt, nous et le tueur qu'est mon frère.
Si j'arrive à comprendre en partie l'état de détresse dans lequel Jilian doit se trouver actuellement, je ne parviens à saisir comment il a pu tuer de ses propres mains tant de personnes. Quel plaisir peut-on éprouver en saignant quelqu'un ? Moi, tout ce que cette pensée produit sur moi, c'est du dégoût et de la peur. Mon jumeau est un monstre.
Au son d'un claquement de porte, je relève la tête. On vient d'allumer la lumière. Mes yeux, qui s'étaient habitués à la pénombre, peinent à se familiariser de nouveau avec la luminosité. Tout en me cachant une partie du visage, je me relève.
— Voler ta vie ne change rien du tout.
La voix de Jilian me fait comprendre qu'il vient de passer un nouveau stade. Lui qui a dit rejoindre sa chambre pour préparer sa valise, se trouve actuellement devant moi, le fusil de chasse de notre père à la main.
— De toute façon, quoi que je fasse, tu resteras toujours le préféré de la famille !
Tandis que ma pression artérielle grimpe à la vitesse de l'éclair, je fais un pas vers lui.
— Jilian, calme-toi. Ce n'est pas vrai. Tu... Les parents t'aiment.
— Alors pourquoi veulent-ils m'envoyer dans un hôpital pour fous ? répond-il aussitôt, la voix au bord de l'explosion. Ils disent que c'est ce que je suis ! Ils ne comprennent rien. Il fallait que je le fasse. J'en avais besoin.
Mon regard alterne entre lui et la porte. Courir vers cette dernière serait trop dangereux. Jilian pourrait me tirer dessus.
— Jamais je ne pourrais être heureux tant que tu me voleras mon bonheur. C'est toi mon ennemi Elijah. Pour être enfin moi, je dois éliminer mon double, celui qui me fait de l'ombre depuis toujours. Tu dois disparaître de ce monde.
Parce que je le vois remonter son arme et approcher son œil du viseur, la panique me gagne. Mon frère ne peut pas me tuer. Il ne peut pas faire une chose pareille ! Il m'a montré qu'il était capable de monstruosité, mais pas celle-ci tout de même.
— Jilian pose ce fusil. On va trouver une solution, d'accord ? On va...
Je ne peux terminer ma phrase. La brûlure qui explose dans ma poitrine m'ôte tous les mots. Mes oreilles bourdonnent à cause du bruit sourd qu'à causé le coup de fusil. Un goût âpre remonte dans ma bouche. Du sang. Il se déverse sur mes lèvres comme de la lave sortant d'un volcan. Mon ventre fait des soubresauts tandis que j'essaie de contrôler ma respiration devenue erratique. Mes doigts s'aventurent sur mon torse et se retrouvent rapidement recouverts de liquide chaud.
Mon frère m'a tiré en plein cœur. Un sanglot m'échappe. Je ne sais pas ce qui fait le plus mal, mon corps qui m'abandonne ou bien mon mental tué à petit feu par une horde de pensées sombres à propos de Jilian. Je savais qu'il ne m'avait jamais aimé, mais je ne pensais pas que l'on en arriverait à ce stade.
À bout de force, mes jambes me lâchent et je m'écrase à genoux sur le sol. De toute ma vie, je n'ai jamais ressenti une douleur pareille.
— C'était toi ou moi, souffle Jilian en s'approchant de moi.
Mes genoux cèdent à leur tour et mon dos tombe en arrière. Ma tête cogne contre le bois et un gémissement m'échappe. Ce sera le seul qui franchira la barrière de mes lèvres ensanglantées.
Je crois entendre à nouveau la porte s'ouvrir. Je reconnais la voix de ma mère qui crie d'effroi. Ma vue commence à me jouer des tours. Elle alterne entre noirceur et réalité, même si cette dernière n'est guère plus lumineuse.
Jilian, à mes côtés, s'excuse. Impossible de savoir s'il est sincère.
Je me sens lasse. Je me sens partir.
Un nouveau coup de fusil retentit dans la pièce. Bien trop faible pour relever la tête, la main toujours sur le cœur pour tenter d'arrêter le sang de couler, je suffoque. Je sens alors le sol trembler légèrement. Puis des yeux, aussi sombres que les miens ainsi qu'une chevelure brune me font face. Mon frère, le visage ensanglanté me fixe. Un rictus naît au coin de ses lèvres désormais aussi rouges que les miennes.
C'est le regard plongé dans celui de mon double diabolique que je rends mon dernier souffle.
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La Passeuse d'âmes (Terminée)
ParanormalSeptembre 2004, les sœurs Reign cherchent à fuir leur passé et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elles achètent la demeure sur les rochers -véritable don sur le marché de l'immobilier. Belle maison Néo Gothique, éloignée des quartiers, elle effr...