Un petit garçon était assis sur un lit d'hôpital, la tête baissée. Il se posait des milliers de questions. La première étant à savoir ce qu'il faisait dans cet endroit immaculé aux odeurs étrangères. Il n'était pas chez lui et se demandait où était Maman et Papa. Il regarda autour de lui et ne se rappela pas d'être venu ici. Alors qu'il s'apprêtait à se lever, une femme à la blouse blanche entra et s'assit à ses côtés. Elle arborait un sourire, mais quelque chose clochait. Dans la tête de l'enfant, un sourire n'allait pas avec des yeux tristes. Pourtant, la femme avait les yeux tristes. De sa voix fluette et de sa spontanéité d'enfant, le petit garçon demanda:
- pourquoi êtes-vous triste?
- Je ne suis pas triste, voyons.
- Si vous l'êtes. Vos yeux le sont, alors votre âme aussi. Les yeux reflètent notre âme, c'est ce que m'a toujours dit ma mère.
L'infirmière parut surprise de la maturité et de la profondeur de la réponse de l'enfant et ne sut que dire. Elle changea plutôt de sujet en lui demandant s'il se rappelait pourquoi il était ici. Il répondit par la négative et la femme quitta la pièce, encore bouleversée des paroles de l'enfant. Le petit garçon se recoucha sur le lit et ferma les yeux. La fatigue l'envahit tout d'un coup. C'est alors que des images affluèrent dans sa tête: des visites à l'hôpital, un médecin barbu, mais bienveillant, des tubes reliant son corps à des machines, des radiographies, Papa et Maman lui tenant la main à chaque test, Papa et Maman lui disant que tout allait bien aller, le médecin qui parle à Maman et Papa, Maman qui pleure, mais qui lui sourit malgré ses yeux tristes, Papa qui le serre fort dans ses bras et lui dit qu'il l'aime. Puis quelques mois plus tard, lui qui est malade, il ne se sent pas bien, il crache quelque chose de rouge. Il laisse échapper quelques larmes d'incompréhension alors que Maman le prend dans ses bras et pleure. Papa appelle un gros camion jaune. Il entre dans le camion jaune, il va vite le camion. Il refait des test et on l'emmène dans cette chambre au dernier étage où il y a pleins d'enfants. Certains ont les cheveux rasés, comme lui, d'autres ont des petits tubes qui entrent dans le nez. Il se rappelle de tout maintenant. Il sait qu'il est malade, mais il ne comprends pas pourquoi ce n'est pas Maman qui s'occupe de lui comme d'habitude. Le petit garçon s'endormit.
Des bruits sonores retentirent dans la chambre, mais le petit ne se réveilla pas. Un médecin barbu accourut dans la chambre suivi par la femme à la blouse blanche. Ils transportèrent vite l'enfant dans une salle d'opération. Le moniteur cardiaque s'emballa: la fréquence ne ressemblait plus à des zigzags irréguliers, mais plutôt à une ligne bien plate. Le médecin donna des chocs électriques au petit garçon et lui fit des massages cardiaques. Rien n'y fit, le petit garçon ne se réveilla pas. Son cœur avait arrêté de battre. Le médecin pleura lorsqu'il marqua l'heure du décès de son patient. C'était son plus jeune patient atteint de la leucémie. Il avait seulement cinq ans... Ce fut les yeux tristes qu'il annonça la nouvelle aux parents qui éclatèrent en sanglots. C'était toujours le plus difficile. Ce fut aussi les yeux tristes qu'il alla voir une autre patiente pour lui poser quelques questions de routine. Elle avait dix ans et lui demanda d'emblée:
- Pourquoi êtes-vous triste?
- Je ne suis pas triste, voyons, répondit-il en feignant un sourire. Pourquoi cette question?
- Oh, vous savez, les gens comme moi savent ce genre de chose, ils le sentent, c'est tout.
- Les gens comme toi?
- Oui, les gens au crâne rasé, vous savez, comme moi.
Fin...
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