Comme une larme

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La solitude. Cette certitude qui prend aux tripes, qui vous rappelle que personne ne vous attend, nul part. Qu'où que vous alliez, aucune main ne vous sera tendue. Aucun vrai sourire. Cette envie d'hurler au monde qu'on existe, pour ne pas disparaître totalement. Penser d'abord à se battre, puis se résigner et survivre.

Aïka était une jeune fille sensible, fragile, et atrocement seule.

Aïka aimait les jours de pluie, elle avait l'impression de partager ses larmes avec un vieil ami.

Aïka ne s'appelait pas vraiment Aïka. Mais elle avait trouvé ce prénom joli et discret comme elle. Et puis tout le monde devrait avoir un prénom. Même ceux qu'on ne remarque pas.

Aïka n'avait ni maison, ni personne. Elle vivait de sel et de sable, de larmes et de vagues, errant le long des côtes escarpées, face à la mer, face à la Terre.

"Le fantôme des eaux noires". Aïka avait un surnom. Les rares villageois qui s'aventuraient aussi loin de leurs maisons, la distinguaient quelques fois, seule, à hurler dans la pénombre nocturne.

Mais Aïka n'était pas une petite fille. Ou du moins, c'est ce qu'elle se répétait. Puisque personne ne l'avait jamais aidé, jamais aimé. Et lorsqu'elle croisait des regards, elle ne voyait là que mépris et crainte. Elle détestait les hommes. Elle détestait ce monde. Et elle avait appris à se détester elle aussi.

Les souvenirs, les rencontres. Ce sentiment d'appartenir à cette Terre, d'y avoir trouvé sa place. De se lever le matin avec ce naturel sourire, cette envie de découvrir toujours plus de choses, de poursuivre cette aventure qu'on appelle la vie. Mais lorsque l'on a ni souvenirs ni amis, qui peut nous rappeler ce que nous sommes ? Seul, nous ne valons pas grand chose. La vraie force nous devons l'acquérir ensemble, ou nous ne la trouvons jamais.

Aïka avait perdu la mémoire. Tout ce qui faisait parti de son identité lui avait été ôté. Elle n'était plus qu'errance, se demandant qui elle était réellement.

Aïka devint folle. Se nourrissant de la haine des curieux et de la rage couleur de larmes qui s'échappait malgré elle, des fentes noires qui lui permettaient de distinguer ce paysage vide de sens, elle avait tout oublié. Elle avait oublié ce qui fait vibrer le coeur des hommes. Elle ne rêvait plus depuis longtemps déjà.

Aïka vit les jours, les semaines et les mois défiler. Les années se succédaient avec une lenteur atroce, et le creux dans sa poitrine ne cessait de grandir.

Aïka aurait mal pour l'éternité.

Je m'appelle Aïka. Parfois je m'imagine sourire, retrousser mes lèvres en un rire enfantin. J'aimerais pouvoir me trouver jolie, plaire à un garçon, me faire beaucoup d'amis. Je me vois souffler les bougies de mes 10 ans, deux chiffres que je n'atteindrai jamais. Je me crois vieillir, entourée de ma famille, mourir dans l'amour et la paix. Pourtant je suis toujours là.

Je m'appelle Aïka, je suis morte il y a bien longtemps déjà. Partie dans la solitude et la haine, je ne puis trouver le repos éternel. Je payerai le prix de cette vie que l'on m'a offerte, qui finalement ne m'a apporté ni joie, ni sourire, ni plaisir. Je suis désolée d'avoir gâché cette existence, si seulement je pouvais me rappeler.

Ce soir-là il pleut. La pluie battante se mêle à mes larmes et je regarde la mer. Il fait nuit, la scène est plongée dans l'obscurité la plus totale. Je m'avance, chancelante, laissant échapper une plainte, qui ne s'éteindra jamais. L'eau m'arrive aux genoux. Je continue. Bientôt, ma poitrine est submergée. Suivit de ma bouche, de mon nez. Enfin, lorsque même mes yeux ne peuvent plus voir, je me laisse bercer par le courant.

Le fantôme des eaux noires hein, quel surnom amusant.


Comme une larmeWhere stories live. Discover now