Photo numéro 2

41 4 0
                                    

Photographie de Thérèse Rivière et Germaine Tillion

Photographie de Thérèse Rivière et Germaine Tillion

Oops! This image does not follow our content guidelines. To continue publishing, please remove it or upload a different image.

Lorsque l'aube pointa à l'horizon, nous étions déjà loin. A dos de mules chargées de marchandises, nous avancions en silence, rôtis par ce soleil de plomb veillant sur nos têtes. Nous foulions cette terre rouge, à coups de pieds nus et de sabots. Voilà que mon turban ne suffisait plus à me protéger de ces rayons de feu. Ma gorge aussi sèche que ce funeste paysage, j'avais appris à ignorer ce corps, qui mendiait son eau. Nous avions quitté notre précédent refuge il y a quelques heures, en quête de blé, de légumes et de fruits, qui se trouvaient perchés sur les plateaux du Nord. Nous n'étions qu'un peuple nomade. Les voyages étaient fréquents. J'avais toujours aimé marcher. Sentir que j'avais une raison d'avancer, de me surpasser. Consciente que je ne devrais ma survie qu'à mes camarades et surtout qu'à moi-même. Une liberté sauvage, dangereuse. Excitante.

J'étais encore jeune, une vingtaine d'années, ni trop laide ni trop belle, habitée par des convictions qu'on jugeait n'être pas de mon âge. Intelligente d'après certains, trop curieuse pour d'autres. Mère de deux enfants. Une Chouïa pleine de volonté. Actuellement perdue sur quelques routes rocheuses ; tels des lacets sans fin.

Ma progéniture me suivant de près, nous dégringolions une pente escarpée. J'étais en tête, comme toujours, connaissant le trajet sur le bout des doigts. Nous voilà partis pour une aventure de trois jours. Trois jours de fatigue, trois jours difficiles, trois jours silencieux. Je ne brisais aucun silence. Chacun était essentiel. Nous désirions repousser nos limites, toujours plus loin, alors nous gardions ce regard courageux pointé vers l'horizon, tels des guerriers avisés lorgnant sur leur future conquête. Défiant l'avenir, affrontant ce soleil, désireux de brûler nos ailes. Personne n'arrêtait les Chouïas. J'étais jeune, insouciante, j'avais foi en ce monde qui m'avait permis d'exister. De tenter ma chance. J'aurais pu entreprendre n'importe quoi.

La nuit avait mis longtemps à envelopper le bleu du ciel. Nous avions installé des paillasses pour dormir à la belle étoile. Jared, mon cousin, entreprenait d'allumer un feu de brindilles, pour nous réchauffer. La froideur nocturne s'installait discrètement, tel un monstre tapi derrière quelques buissons, prête à bondir pour saisir ses proies. Je me blottis auprès de mes deux filles, les serrant tout près de mon cœur. L'obscurité grandissante terrifiait les sœurs.

« J-je n'aime pas tout ce noir, je le trouve effrayant... » Je reportais mon attention sur elle, lui offrant un sourire plein de douceur.

« Le soleil est fatigué lui aussi, il a besoin de l'aide de son amie la Lune. Elle n'est pas méchante, elle est juste différente. Tu sais, les hommes ont souvent peur de ceux qui sont différents. »

Ce soir-là, j'eus un peu de peine à trouver le sommeil. Mon esprit vagabondait par-delà les montagnes, par delà ces étendues de pierres, de cendres et de gris. Il me hantait à nouveau. Je revoyais son visage rougi par cette chaleur diabolique, je distinguais sa silhouette entre les flammes rougeoyantes. Le père de mes enfants. Un amour timide, que je n'oublierais jamais. Je ne crois pas qu'il ait été épris de moi un jour. Pourtant, nous ne nous quittions pas. Mais ce qui appartenait à notre terre nourricière devait y retourner un jour. Son jour à lui nous tomba dessus plus tôt que prévu. Un énième voyage à travers ces montagnes, une énième pente abrupte, un amoncellement de roches glissantes, puis le drame, la chute. La vie n'en faisait qu'à sa tête. Ce fut ma première épreuve. Et je ne pleurais pas.

J'avais élevée mes filles avec amour, avec cette envie farouche de me venger du destin. J'étais seule oui, mais la solitude me plaisait, elle me rendait plus forte. Moins vulnérable. Bien sûr, à force de me rebeller contre le monde entier, je m'étais attirée les foudres de quelques individus gras et coléreux, de ces personnages grossiers, se rapprochant plus du porc que de l'homme. Je m'étais mise à dos toutes ces mères outrées que je ne cherche pas à me remarier, me traitant de veuve en oubliant mon nom. J'avais mené cette guerre, la tête haute, et cette fierté-là, on ne me l'ôterait pas.

Les paroles que j'avais chuchotées à ma fille me revenaient en mémoire. Finalement l'histoire de la Lune et du Soleil était universelle. Les hommes ont souvent peur de ceux qui sont différents.

*****

Trois jours après cette réflexion, nous avions enfin atteint le village, où nous pourrions vendre et marchander à notre guise. L'excitation était à son comble. Les petites habitations carrées s'alignaient le long de la montagne, faites de pierres sèches, habillant ce flanc nu.

J'aimais cet endroit, la vie qui y battait son plein me faisait chaud au cœur, et me remplissait d'espoir. Mais lorsqu'on passait son quotidien à voyager d'oasis en oasis et de village en village, on avait du mal avec la routine. Les deux semaines qui suivirent furent longues et fastidieuses, je ne tenais plus en place. Il me tardait de retrouver ces étendues arides, ce paysage de terre ! Enfin, l'heure de partir sonna, et nous firent demi-tour, gravissant, escaladant, trébuchant, et nous relevant encore et encore, pour d'autres horizons.

Pieds nus glissants sur la roche. Pendentifs se balançant à mon cou. Capuche rabattue sur ma tête. Sourire précieux pendu à mes lèvres.

Moi, jeune femme des montagnes, ayant relevé ce pari fou, de vivre de pierres et de flammes.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Second texte posté ! J'attends vos retours. :3

A bientôt et merci de me lire :)

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: May 01, 2018 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Comme une plume perdue par-delà des photos ~Where stories live. Discover now