Encre fondue

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 Où s'en vont-ils, les flocons terrassés sur le bois mort ?

 Où s'en vont-elles, les larmes qui n'atteignent même pas le sol ?

 Où s'en va-t-il, le soleil dissimulé sous le rideau blanc du ciel ?

 Dans mon stylo-plume, l'encre avait gelé.

 Ce midi, dans ma cuisine, le Tchouang Tseu entrouvert, une tasse turque remplie de café Nespresso, et ma forme suspendue, sur une chaise, immobile et muette. Tout simplement.

 J'attendais, tout simplement, et je regardais des reliques de l'hiver passer devant la porte vitrée, je les regardais tourbillonner vers le sol comme des samares, je les contemplais, elles s'oubliaient sur la terrasse, devant mes yeux, aux pieds de la porte vitrée.

 Et comme je regardais ces bataillons tombés d'un ciel anachronique, eau ou neige, je voulais être sûr, et tout en les regardant tomber encore, je m'approchai, je m'approchai et j'ouvris la porte, brusquement, comme pour les surprendre.

 Sur le sol, ils avaient pourtant effacé leurs traces, ou était-ce la terrasse, des professionnels en tout cas, assurément. La seule preuve qui m'était offerte, c'étaient ces insectes mal arrondis, c'étaient ces agglomérations aqueuses qui chutaient face à moi, autour de moi, ce n'était même pas tel ou tel, puisque déjà tel disparaissait de l'univers pour toujours, c'était ce mouvement, comme une évanescence fluviale. Alors, je tendis le bras.

 Alors j'approchai une main pour saisir ces papillons, ou plutôt, je présentai la main pour qu'eux la trouvent et la maculent de leur blancheur immaculée. Alors je tendis la main, mais ils s'en moquèrent éperdument, et passèrent tout autour sans un regard, sans une attention, alors les flocons chutèrent dru encore, jusque sur le bois mort de la terrasse, aux pieds de la porte vitrée.

 Ma main se fâcha, balaya les airs, mais la neige toujours était hors d'elle, intouchable. Mon bras avait beau s'escrimer, il avait le talent du maître d'armes des frères Grimm, à l'endroit, à l'envers. Et mes doigts conservèrent leur teint rose et livide, tandis que mes cibles en se riant de moi éclaboussaient mon pull en n'y laissant que leur eau pâle.

 Et le sol muet observait mes tentatives illusoires, tout en exhibant ses cadavres infimes, ni glace ni liquide, dans une boue boisée inerte. Il n'y avait rien à en tirer. Je n'avais qu'à passer bredouille, le pas de la porte vitrée aux pieds de laquelle se jetaient sans discontinuité des volatiles suspects, qui se jetaient pour mourir sur le parquet sépulcral à mon nez et à ma barbe, sous le regard complice de la porte vitrée.

 Depuis longtemps, l'encre a fondu dans mon stylo.

 Où s'en est-elle allée, la neige de l'hiver ? vagabonde-t-elle inquiète dans les méandres de ma vie, me hante-t-elle dans l'attente que mon écriture la transmette à l'été ignorant ?

 Où s'en ira-t-elle, si le papier ne la connaît pas ?

 Où s'en est-il été, mon hiver versatile ? où sont-ils donc passés, mes vers hivernaux ?

 La tempête en mon coeur est devenue charbon, qui palpite lentement, par étincelles discrètes. Un fumet en sort, et rejoint Mnémosyne. Et là m'attendra mon passé.

 La Muse alors a frémi dans ma plume, d'un sifflement qui ne provenait pas de la bouilloire. La poésie m'a chatouillé les doigts.


Premières neigesWhere stories live. Discover now