Quelque part, quelqu'un

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Le choc fut très violent.

Et puis je brule.

Ma joue rougit, mes yeux embrumés de larmes, tout me brule.

Mes poings qui se serrent, mes phalanges qui blanchissent sous la pression.
Tout s'enflamme.

Retenir mes sanglots, ne pas pleurer.

Le fixer dans le blanc des yeux, ne pas détourner le regard.

Ne pas faillir, ne pas répondre.

Ses paroles, ne pas les laisser me blesser.

Il hurle ; Je me tais.

Il attrape un vase, le brise ; Brisé, mon cœur souffre.

Ses cris résonnent. Dans l'appartement, dans ma tête. Toujours plus fort, toujours plus douloureux. Ma cage thoracique enserre mes poumons, mon cœur se contracte. J'ai soif, ma gorge se noue. Soif de répondre, soif d'hurler ma vérité.

Une lumière à peine filtrée par les volets, un film en noir et blanc sur fond sonore. Une cigarette encore allumée sur le cendrier. Une fumée blanche qui s'envole et je m'étouffe. M'étouffe dans ces préjugés, ces insultes à répétitions, Les coups, morales, physiques.

Bruit ; Silence.

Solitaire ; Surpeuplé.

Ce monde se tait, tant de personne qui hurle.

Il appuie là où sa fait mal, me critique, fais comme les autres. Il répète les mêmes mots. Encore, encore, encore et encore.

Et encore.

Encore.

Angoissant, perturbant, j'ai dépassé cela. Passé par les idées noires, passé par les lames sur ma peau. Passé à travers les blessures. Se découvrir, aimer, se trouver monstrueux, tout gâché, se retrouver seul, suicidaire, se retrouver les bras en sang, abimé, se retrouver perdu. Perdu, perdu, perdu. Personne pour me guider. Un chemin falsifié, des paroles répétées.

Qu'en savent-ils d'abord ? Sont-ils à notre place pour comprendre ? Non ! Je n'ai même plus la force de croire en eux, j'ai plus la force de leur répondre. Je voudrais juste penser à autre chose.

À lui.

Je voudrais changer de monde, tout renversé, bousculé le temps et l'espace. Je voudrais partir loin, n'être plus rien.

Car si je ne suis rien alors je ne ressens rien et alors cette souffrance qui inlassablement m'étouffe n'existera plus. Je voudrais fermer les yeux, me réveillait dans ces bras. Juste l'avoir près de moi, lui. Lui qui jamais ne me rejette, lui qui toujours m'accepte. Lui qui me tire vers le haut et m'attire dans le bonheur. Lui qui me rassure. Après tout, je suis comme les autres. Comme les autres. Un être humain. Mais si « être humain » signifie rejet, égoïsme, discrimination...alors je veux être différent.

Je relève les yeux vers mon père, affronte son regard. Ses traits tirés trahissent sa colère mais je n'ai pas peur. J'en ai assez de me cacher, de me laisser critiquer sans rien dire, de me laisser frapper sans mordre. Maintenant je le sais. Alors moi aussi, moi aussi je hurle. Je hurle de pleins poumons ! J'hurle ma rage, j'hurle ma peine, j'hurle ma détresse ! Je l'hurle au monde entier !

Ecoutez-moi !

Je suis là ! Je suis moi, moi, moi ! Je suis celui que je suis, celui que le monde a vu naitre ! Je n'ai pas choisis de venir en ce monde, je n'ai pas choisis ce corps dans lequel je suis emprisonné et surtout...surtout je n'ai pas choisis d'aimer qui j'aime !

Mon père tressaillit, recule ; Je m'avance, fière.

Je n'ai pas honte d'être. Je n'ai pas honte d'aimer !

Et peu m'importe de devoir me battre pour ma liberté, pour mes droits, car je veux que le monde sache que j'existe. Je veux que le monde cesse de répéter ces mots qui me poignardent le cœur, je veux que le monde cesse de donner ces coups qui me marquent le corps.

Je veux que le monde sache !

Je veux que le monde change !

Je veux...je veux...

Que tout devienne plus simple...

« Alors pourquoi ne comprends-tu pas, papa ? Pourquoi continues-tu à m'insulter, à me frapper ? Toi qui étais si fière de moi... Tu te mets à haïr ton propre fils seulement parce qu'il ne se mariera pas avec une femme comme tu l'imaginais ? Tu me déçois...»

Mais au moins je le sais...

« Tu n'es plus mon fils ! »

Et puis la flamme finit de tout consumer autour de moi, la porte claque et je m'échappe. Mes pas me perdent à travers les rues du monde, l'immensité de l'espace m'écrase et sur mes joues dévale ma rage. Je cours dans le vide de la chaleur humaine, le vide qui a pris place lorsque tu m'as délaissé, papa.

Mais lorsque j'entends mon nom, l'écho d'un murmure, comme une musique lointaine et que je me retourne pour le voir, lui, si beau, si joyeux, courir vers moi, une immense chaleur envahit tout mon être.

Et tandis que se fane mon passé, fleurit mes rêves d'espoir, celui d'un futur avec lui. Un futur à deux. Un futur d'acceptation.

Je le sais. Je le sais que je ne le suis pas...

Et cette vérité c'est la mienne.

Et celle de beaucoup d'autre.

Je sais que je ne suis pas seul et que quelque part, quelqu'un m'aime. 

Quelque part, quelqu'un - Nouvelle GayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant