CHAPITRE UN (réécrit)

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Plantée au bout de la longue table de réunion autour de laquelle les actionnaires de ma société familiale étaient assis, j'étais à deux doigts de tomber dans les pommes. Peut-être même moins que deux doigts.

Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, menaçant de la quitter à tout moment, et j'avais les paumes atrocement moites. Je ne gérais absolument rien dans toute cette situation, et c'était ce qui allait finir par me conduire à ma fin.

Ou pas. J'avais une chance de m'en sortir, une minuscule chance due à la brutale disparition de mon mari.

S'il avait été la figure phare de l'entreprise depuis notre mariage, j'avais tout autant de diplômes que lui, en plus de l'expérience que mon père m'avait transmise. J'étais à ma place ici, au siège social, et je devais le prouver.

En tout cas, j'avais essayé de le faire. Le véritable monologue que je venais de finir, la voix légèrement tremblante, n'avait pas l'air d'avoir convaincu les hommes qui me faisaient face. Loin de là s'en faut.

Pourquoi est-ce que j'avais l'impression d'être une enfant déguisée essayant de jouer dans la cour des grands ? J'étais bien loin de la femme d'affaires que je voulais faire voir, celle en qui on pourrait avoir une confiance aveugle.

— Je suis désolé, madame Karloan... Mais je crains que ce ne soit pas possible.

Un rictus digne d'un foutu requin de dessin animé aux lèvres, Harbs Rogan réajusta sa cravate, si sûr de lui que j'eus subitement envie de l'étrangler avec. Bedonnant comme il l'était, il ne parviendrait pas à se défendre.

Bon sang, à quel moment avais-je confié mon entreprise à des idiots pareils ?

La plupart d'entre eux venaient de l'époque où mon père était encore en vie. C'était grâce à leurs fonds que la société avait pu gagner en ampleur et s'asseoir sur le pays. Ils m'étaient malheureusement nécessaires.

Plutôt que de céder au besoin que j'avais de lui faire passer l'envie de sourire, je haussai les épaules, un masque de sérénité bien en place sur le visage.

— Et avec tout mon respect, Rogan, je ne vous demandais pas la permission, lâchai-je sur le même ton qu'il avait employé.

Oh, bordel ! Ce que ça faisait du bien !

— Mon époux n'est plus. À partir de maintenant... Je suis Karloan entreprise.

Comme je l'avais toujours été. Je n'avais juste pas eu le courage de me l'approprier jusqu'ici. Je l'aurais pu, j'aurais le faire. Maintenant, je m'en mordais les doigts.

Madame Karloan.

Même après mon somptueux mariage, je n'avais jamais eu à changer de nom de famille, simplement parce que la fructueuse entreprise de mon père était son éponyme. Mon merveilleux mari avait toujours déclaré que la pérennité des affaires valait plus que sa lignée.

Manière polie et élégante de déclarer que les billets s'aligneraient mieux s'il s'appropriait le prestigieux nom des Karloan. Les actionnaires lui avaient fait confiance, et ils avaient eu raison.

En tout cas jusqu'à un certain point.

Ni eux ni moi n'avions prévu que cet enfoiré disparaîtrait du jour au lendemain, et ce en embarquant avec lui la quasi-totalité du capital de l'entreprise. Si je n'arrivais pas à tout récupérer, et vite, l'empire de mon père tomberait sans possibilités de se relever.

Le temps pressait, et eux s'amusaient à me mettre des bâtons dans les roues.

— Vous n'avez ni l'expérience ni les connaissances de votre époux, rétorqua un autre mollusque avachi sur son siège.

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