Elle est sortie sur le balcon de sa chambre, au quatrième étage d'un immeuble dans un petit coin de la grande ville. Les pieds nus sur le carrelage, le fin tissu de coton de sa robe retombant sur ses courbes discrètes. Elle marcha jusqu'à la rambarde, une démarche de petits pas précipités enchaînés par des petits pieds roses, on aurait dit qu'elle dansait dans la brise légère. Elle leva le menton, ferma ses paupières bleutées et respira la pollution de la fin de journée, elle respira l'odeur du métal chaud des balcons de l'immeuble, les nuages de poussière d'en bas ne l'atteignant pas, ne pouvant salir se peau banches immaculée. Bien que ce petit balcon se situa au quatrième étage, la jeune fille bénéficiait d'une vue sur le parc en contrebas, pleins de monde en sortait, des familles rentraient dans leur voiture et laissaient leur rires dans l'herbe, des coureurs circulaient tant bien que mal à travers cette cohue de couleurs et de chapeau. Si elle penchait un peu la tête vers la droite elle pouvait apercevoir le petit cinéma de créateurs, avec sa devanture rouge écarlate et ses lumières dorées, un cinéma particulier pour des humains particuliers. Mais si lui venait l'audace de pencher la tête du côté gauche, elle rencontrerait le balcon du voisin.
Le balcon du voisin sentait le café. Mais le voisin ne sentait pas le café. Bien qu'il en bu toute la journée. Le balcon du voisin de gauche était sobre, et c'est un bien petit mot. En effet sur ce balcon il n'y avait rien, à part une petite jardinière où se trouvait un cactus, une vieille lanterne qu'aucune bougie n'allumait jamais, et la cuillère avec laquelle il avait mélangé son café du matin, posée par terre. Le voisin de gauche était un mystère pour elle. Il avait les cheveux en pagaille et des lunettes en cul de bouteille toujours de travers, avec un sourire en coin. Ce sourire était toujours scotché du côté droit de ses lèvres, de ses fines lèvres de muet. Du côté du balcon de la fille. Elle ne le voyait pas si souvent que ça ce sourire, puisqu'au final elle était timide, la fois où elle l'avait remarqué c'était quand elle arrosait ses fleurs. Oui, elle son balcon était remplis de fleurs, de suspensions qui pendouillaient du balcon du cinquième étage. Très gentille la dame du cinquième étage qui lui avait donné sa permission pour y accrocher ses terrariums. Des fleurs aux larges pétales de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de toutes les émotions possibles. Les fleurs sont douces et sentent bons, mais elles sont éphémères, et ça lui brise le coeur chaque fois qu'elles se fanent. Les fleurs ont fasciné le voisin de gauche. Oui, un matin il posa sa tasse à café tout près du balcon de la jeune fille, il s'était assis par terre et avait longuement contemplé les fruits de la nature. Tout d'abord, elle ne l'avait pas vu, elle était sorti en chemise de nuit, et avait sursauté en le voyant. Il lui a dit bonjour d'un signe de la main. Elle a compris qu'il ne savait pas parler. Elle s'est dit chouette il ne parlera pas des trous de ma robe.
Elle n'avait toujours pas recousu les trous dans sa robe. Ils étaient trop petits. Plus d'une fois elle avait voulu jeté cette robe, mais elle renonçait à chaque fois. Ce soir là, ce soir de fin d'été, ce soir où la lumière douce du soleil couchant caressait la ville de ses rayons dorés, alors qu'elle était sur le balcon, les yeux fermés et le nez au vent, elle sentit une douce odeur de liqueur noire. Elle tourna à demi la tête et devina une silhouette à contre jour. Il était comme un ange, à se noyer dans la lumière trop brillante de l'astre solaire, à se dandiner d'un pied à l'autre dans sa chemise à carreaux et son pantalon pleins de peinture, avec deux tasses fumantes dans la main.
Je ne dirai pas ce qui se passe après, par ce qu'elle est timide et qu'elle ne voudrait pas que je raconte son histoire à sa place, et par ce que lui ne peut pas parler. Mais c'est le plus joli début de romance sans parole, et c'était un privilège d'avoir pu les observer d'en bas, le jour où je me rendais au cinéma.
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Bribes
ContoEt Les Souvenirs D'Une Naissance Ceci sont les Bribes de mémoires d'une adolescente. Qui a de l'art au bout des doigts et de l'or dans la cervelle. Ceci sont les Bribes d'une seconde mémoire, la mémoire collective et universelle, celle qui se révèl...