Triomphe - Min Yoongi

44. Pour la dernière fois

Alors on se retrouve, devant la salle de musique, pour la dernière fois.

Peut-être que ça te fait bizarre. Moi, ça me fait bizarre. De te voir toi, tes cheveux légèrement ébouriffés parce que j'y ai passé ma main tout à l'heure, tes bras croisés, tandis que tu es adossé au mur de la salle de musique, que tu contemples d'un air nostalgique, silencieux.

Ça me fait bizarre, aussi, de voir Iseul et Jimin.

Iseul comprend que nous sommes figés quelque part entre notre conscience et le monde réel, incapable de voiler notre tristesse ; elle se contente de nous lancer des regards furtifs et préoccupés, légèrement inquiète, et je sais qu'elle est prête à nous réconforter à tout moment, s'il le faut.

Jimin se tient au côté d'Iseul, assis sur une table, et il garde le silence. Il comprend l'importance qu'a la salle de musique abandonné à nos yeux. Il n'essaye pas de se mettre à notre place ; il se contente d'être là, et je l'en remercie. Dès que je croise son regard, j'y vois un mélange de compassion et d'affection, et je détourne le mien, de peur de craquer.

En quelque sorte, la salle de musique abandonnée nous appartient. On s'est battu ici ; on a gueulé et on a craqué, on s'est embrassé et on s'est disputé, on s'est serré dans les bras et on s'est retenu de tomber. On a échoué et on a triomphé, ici.

J'ai été heureuse, ici.

Alors ça me va ; je suis d'accord de partir d'ici. Je veux bien me retourner et abandonner ce piano au son d'or, le parquet qui grince et les chaises bancales. Je veux bien m'en aller.

Si tu viens.

Si vous venez tous.

Parce que ce n'est pas de la salle de musique, dont j'ai besoin ; ce n'est pas d'un piano et de quelques chaises ainsi que de tables en mauvais état. C'est pas d'un espace qui me sert de refuge non plus.

Le truc, en quittant la salle de musique aujourd'hui, en sachant que c'est mon dernier jour, c'est que je comprends que je ne suis plus seule.

Alors ça me va.

Alors serre-moi la main, Yoongs. Ne pleure pas trop, d'accord ? On reviendra un autre jour. Ensemble. Tous ensemble. Un jour, on s'assiéra à nouveau sur cette chaise en bois. Un jour, on se rappellera de tout ce qu'on a vécu, adolescents, et on se dira que le lycée, c'était un feu d'artifice qui nous a éblouit et qu'on oubliera jamais.

Mais, pendant ce temps, avant que ce moment n'arrive, en attendant qu'il arrive, faisons en sorte d'être heureux.

''Le moment est venu, pas vrai ?''

C'est la voix brisée d'Iseul qui se fait entendre, et en dirigeant mon attention sur elle, je me rends compte que la tristesse l'a submergée ; elle se mord la lèvre, les yeux humides, et Jimin lui prend la main.

''La fin du lycée... Dire que j'ai rêvé de ce moment depuis des années. On est pas censés être heureux, là ?''

''On sera heureux après... Pour l'instant, soyons nostalgiques. On lui doit bien ça.''

Alors elle hoche de la tête, me sourit, et s'en va, accompagné de Jimin.

On s'est détruit et on s'est reconstruit, ici.

Alors échecs après échecs, coup après coup, triomphes après triomphes, je reviendrais.

Et si un jour ça ne va pas, il me reste encore nos souvenirs. Mes souvenirs : ceux que je garderais égoïstement auprès de moi la nuit afin de me réchauffer, ceux qui sécheront mes larmes ou les feront couler, ceux qui peindront un doux sourire sur mon visage.