Chapitre 1-2

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Le regard de mon nouveau frère - ouais, j'en avais un aussi, à l'époque, mais c'est spécifié dans le contrat "quejen'aipassigné" que le passé doit rester mon passé : loin, très loin derrière moi - se plisse légèrement

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Le regard de mon nouveau frère - ouais, j'en avais un aussi, à l'époque, mais c'est spécifié dans le contrat "quejen'aipassigné" que le passé doit rester mon passé : loin, très loin derrière moi - se plisse légèrement. Il a une fichue masse de cheveux sur le crâne qui lui tombe carrément n'importe comment sur le front, alors que les bords sont rasés de près. Du coup, comme il a la tête baissée vers moi, il est obligé de ramener sa frange sur le dessus de son crâne. C'est mignon, voir craquant. Tintin - je vois pas comment l'appeler autrement - est bien plus vieux qu'il n'y paraît et vachement propre sur lui. C'est le genre de jeune qui a forcement un succès fou auprès de la gente féminine, avec un corps de compétition.

Le mec qui doit jamais péter en dormant.

Le mec qui fait jamais attention à ce qu'il mange.

Le mec qui...

- Je peux te ramener un sac poubelle pour que tu glisses jusqu'en bas, mais je suis pas ton mulet.

... n'a pas un pour-cent d'amabilité au réveil. Je le note dans un recoin de ma petite caboche blonde.

Sur ces belles paroles, Tintin dévale bruyamment les escaliers en me laissant en plan. Pas un sourire, pas un clin d'œil, RIEN. Il a zéro humour ou quoi ? Même mon gros orteil a compris que c'était une blague !

Cette famille risque de me mener la vie dure, TRÈS dure.

La poisse.

- J'ai même pas droit à un bisou de bienvenue, je marmonne en faisant glisser mon petit cul de midinette sur la marche suivante.

Tintin n'était pas avec nous quand je suis revenue de l'hôpital. Je l'ai bien vu plusieurs fois à mon réveil, mais le potage dans lequel j'étais englué m'avait pas mal empêché de faire connaissance ou taper la causette. Et une fois en meilleure forme, je ne l'ai pas recroisé. J'ai lu le fichue "diary" d'Andy qui stipule combien sa relation avec son frère est merdique, sans en comprendre vraiment la raison. A priori, Tintin considère sa sœur comme une "dinde écervelée née avec une cuillère en argent dans la bouche pas foutue de se démerder comme une grande fille". Ça, c'est la version raccourcie. Je vous passe les détails composés de reproches dégradant que je n'aurai pas osé sortir à mon propre - vrai - petit frère. Même dans ses pires jours.

- Andréa ! Ma chérie ! hurle madame bidule-chouette du bas des escaliers, probablement de la cuisine.

Je grimace. Andréa. Je suis presque sûre que je n'aime pas ce prénom. Andy, encore, je peux accepter puisque ça ressemble à Aby. Mais Andréa ? Beurk.

- J'arrive ! je m'égosille, me retenant d'ajouter "dans une petite décennie, déjeunez sans moi !".

Mais vu l'humour qui circule dans cette famille, on risque de me prendre au mot. Remarque, ce ne serait pas si mal, je pourrais manger seule au moins. Si ce satané nouveau frangin avait daigné jouer les chevaliers servants, j'aurai pas besoin de descendre ces fichues marches.

J'observe d'ailleurs ces dernières, qui s'incurvent légèrement jusqu'au rez-de-chaussé. Enfin, rez-de-chaussé, ç'en est pas vraiment un, étant donné qu'on vit au sixième - ou 7e ? Je sais déjà plus - et dernier étage d'un bâtiment rénové dans le sixième arrondissement de Paris. Le sixième arrondissement, c'est où ? J'en ai pas la moindre idée, je sais juste que c'est dans le cœur de la capitale. Par rapport à la Tour Eiffel ? Hum... Je ne sais même pas où elle est, cette fichue Tour. Vous me croyez si je vous avoue n'avoir jamais mis les pieds à Paris ?

Que voulez-vous, à la base, je suis une Toulousaine moi, pas une Parisienne !

- Tu veux de l'aide, mon ange ?

Je manque de m'étouffer. Respire Aby - euh, Andy - ! It's alright*, comme dirait mon frère - ah zut, faut vraiment que j'arrête de penser à lui ! -, la mère d'Andy n'a aucun soupçon, c'est à peine si elle reconnaîtrait la voix de sa fille dans le noir.

Et non, ce n'est pas méchant, c'est marqué dans le carnet d'Andy. Ses parents ne lui apportent pas plus d'attention qu'ils ne le font avec leur femme de ménage. Je pousse un soupir à fendre les âmes et motive mes fines gambettes à soutenir mon corps ramolli jusqu'au bas de la dernière marche. Pendant toute la durée que me prend ce court trajet, j'en profite pour décortiquer les multiples cadres qui ornent l'extérieur du mur, et où y est dépeint une famille bourgeoise au sommet de ses meilleurs années. Des parents entourés de leurs enfants à la plage, entrain de danser dans un mariage, de faire du bateau en bord d'îles paradisiaque, pendant une partie de bowling... Y a pas à dire, ça donne envie. Ça pourrait paraître encore plus vrai si les dernières photos - et apparemment les plus récentes - ne dépeignaient pas un Tintin de treize ou quatorze ans et une Andy de encore plus jeune.

Leurs fameuses meilleures années familiales datent. Cela dit, les parents pouvant se venter d'avoir une excellente relation avec leurs enfants passé l'adolescence ne courent pas les rues.

- J'arrive, répété-je pour éviter qu'ils ne viennent me chercher.

Faut avouer que je suis pas franchement emballée à l'idée de leur faire face. Peu importe ce que la piaf m'a conseillé, j'ai pas mémorisé grand chose du carnet d'Andy, ni de ce que lui m'a dit, et je ne suis définitivement pas prête à empocher ce rôle. Une fois sur mes pieds, je constate avec satisfaction que ma tête ne me tourne même pas. Je porte ma main au sommet de mon crâne et tâtonne les points de sutures en parfaite résorption, partiellement masqué par mes cheveux. Petit souvenir de l'accident de voiture d'Andy, qui l'a plongée dans le coma. Les médecins ont dit que dans quelques semaines, on y verrait que du feu, malgré la petite zone rasée. Pour l'instant, il me suffit de brosser mes cheveux par-dessus la blessure de guerre.

Le couloir menant à la cuisine et à salle à manger est encombré de vieux meubles en bois, accordé au parquet poli et aux murs d'un sombre hortensia. Des tableaux d'art horribles à mes yeux - je n'ai jamais été très sensible à la peinture abstraite - s'alternent avec des sculptures en tout genre, tantôt en bois, tantôt en ferraille.

Lorsque je pénètre dans la grande salle à vivre, j'ai le temps d'analyser rapidement les lieux survolés à mon arrivée : la cuisine i-tech sur ma gauche aux couleurs mauve avec une partie en bar et un centre de travail en marbre carré ; un genre de salon longiligne avec une grande table à manger en bois où est disposée le petit déjeuné ; un coin salon sans télévision composé d'un canapé et de fauteuils en cuir ouvrant sur le reste de la pièce. Un balcon s'étant tout du long de la pièce, avec ses baies-vitrées coulissantes.

J'ai pas le temps de saluer ma nouvelle famille qu'un petit monstre des enfers infâme se ru sur moi.

La bête à l'allure de serpillière se jette sur moi. Je m'égosille, hurlant comme une damnée, et saute sur la chaise la plus proche de moi, manquant au passage de m'étaler de tout mon long.

- Enlevez-moi cette horreur ! hurlé-je en donnant des coups de talons à cette chose immonde qui m'aboie dessus en essayant de me manger les jarrets.

Personnes ne réagit, m'observant avec leurs yeux comme des soucoupes.

- Mais Andréa chérie, c'est ton chien, s'étonne finalement la mère d'Andy en me voyant attraper une serviette avec laquelle je frappe son soit-disant chien.

La bestiole poilue attrape mon arme improvisée et tire dessus en grognant. 

- Je suis allergique aux chiens ! crié-je à l'article de la mort. 

Le silence retombe du côté de ma famille pendant que je continue à garder le cerbère à distance de mes mollets, et j'entends Tintin éclater subitement de rire.

- Allergique ! C'est la meilleure celle-là. Je vous avais bien dit de la laisser à l'hôpital.

Ah zut, l'ancienne moi était allergique aux chiens, pas la nouvelle. Encore un détail que j'avais oublié.

Adieu Aby, Bonjour AndyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant