La course-poursuite

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Courir, courir sans m'arrêter. Le souffle saccadé, stress, tension et la peur qui pointe. Le bruit de pas rapides derrière moi s'accélère. Je m'essouffle, la fatigue commence à gagner du terrain, l'idée d'abandonner effleure mon esprit. NON! Je n'ai pas le droit! Je rassemble mes forces et je continue de fuir. Allez, ma vieille, tu es capable, ne lâche pas. Le sort qui m'attend si je m'arrête est bien pire que les quelques courbatures que j'aurai, une fois à l'abri. Je tâche de contrôler ma respiration, il ne faut surtout pas paniquer. Si je m'affole, je suis perdue. Tous mes efforts n'auront servi à rien. Allez, allez, c'est la dernière ligne droite. Sans quitter le sol des yeux, je fais le vide dans mon esprit. Trouve ton deuxième souffle, ma vieille. Je le trouve, enfin, j'accélère. Saut, évitement de divers obstacles, la course-poursuite n'a pas l'air de vouloir se terminer.

Tout à coup, je sens que mon poursuivant commence à peiner. Je le sens réellement ou ce n'est qu'un faux espoir créé par mon esprit afin de me convaincre de cesser ces efforts? Non, je le sens véritablement, ce n'est pas une illusion. Ces pas commencent à ralentir, quasi imperceptiblement. Son souffle s'accélère, perd sa désespérante régularité et devient de plus en plus chaotique. Est-il sur le point d'abandonner? Pitié, faites que ce soit vrai... Arrête, il ne faut pas compter là-dessus. Cours, mets-toi à l'abri. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire... Ma gorge me brûle ainsi que mes jambes... D'ailleurs, ces dernières deviennent de plus en plus lourdes...

Soudain, une autre voie s'ouvre sur ma gauche, m'arrachant de mes idées noires. Sans réfléchir, je tape du pied droit de toutes mes forces, m'aidant ainsi à pivoter sans ralentir. Je m'engage dans la ruelle avec espoir. Pourvu que... Oui! Sauvée! À cette heure de la journée, l'heure du dîner, l'artère du centre-ville qui se profile devant moi est bondée. Je dois me mêler à la foule, c'est la seule solution. Vite, vite, plus que quelques pas... Victoire! Je zigzague entre les employés de bureau dans leurs costumes-cravate et les étudiants de l'université et du cégep du coin. Tout en marchant, le plus naturellement possible, je retourne mon manteau réversible, passant du rouge au noir. Ce tour de passe-passe m'a déjà sauvé plusieurs fois. Où suis-je?, Allez, nom de rue apparaît... Parfait. Maintenant... Voyons, c'était où déjà... Ah oui! Repérant enfin l'entrée du complexe, je me précipite. Marche vite mais ne cours pas, il ne faut pas se faire prendre si proche du but.

Essoufflée, j'entre dans ce qui est connu sous le nom de «Ville souterraine». À cette heure de la journée, surtout peu avant Noël, le centre commercial qui renferme une multitude de boutiques est bourré à craquer. Dans le coin repas, je m'installe à une table à côté d'un pilier. Une place bien en vue. Plus en évidence on est, moins les gens nous repèrent. En un tour de main, je procède à ma transformation. J'ôte mon chapeau, entrainant avec celui-ci mon élastique et ma perruque blonde, révélant mes cheveux noirs. J'enlève mes lunettes, sans précipitation, de même que mon manteau. Les gestes brusques attirent l'attention. Je me concentre sur la cour des restaurants analysant les autres clients, m'assurant que personne ne prête attention à moi. Heureusement, la majorité est trop absorbée par leur écran respectif ou leur propre repas. Je saisit en un geste fluide, comme s'il m'appartenait, le journal abandonné à la place à côté de moi.

À ce moment-là, je vois passer mon poursuivant. Je m'efforce de fixer mon regard sur le journal, comme si j'étais fasciné par ma lecture. Son regard me traverse, comme si j'étais transparente. Respire, ma vieille, il ne te reconnaitra pas. Il scrute attentivement la centaine de tables, en vain. Je ressemble trop aux personnes qui m'entourent. Le noir est une couleur passe-partout. Je m'oblige de tourner les pages du périodique, prêtant une attention distraite aux photos et aux gros titres. J'entendrai presque sa respiration saccadée, du coin de l'œil, je vois sa poitrine se soulever rapidement. Ne fige pas, continue à lire. Ou du moins à faire semblent. Ne te retourne surtout pas. C'est un passant quelconque, pas digne d'intérêt.

Il est parti. Du coin de l'œil, je le vois s'éloigner... Ouf... Saine et sauve... La tension me quitte tout d'un coup. Je souris, soulagée. Alors que mon poursuivant s'éloigne, je plonge ma main dans ma poche et ressort en souriant la clé USB qui m'avait demandé autant d'efforts. Qui aurait cru que les photos de ce politicien corrompu allaient valoir autant? Le scandale allait se retrouver sur la première page de tous les périodiques dès demain matin et moi, je pourrai prendre de vacances bien méritée! Les plages du Sud n'attendent que moi!

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⏰ Last updated: May 27, 2018 ⏰

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