Cet après-midi-là, il y avait peu de monde au café et la chaleur était étouffante. L'été était en train de pointer le bout de son nez. La cloche de l'entrée retentit, tandis qu'un nouveau client venait s'installer à une des tables proches de la baie vitrée. Je me dirigeai vers lui, armé comme d'habitude de mon plus beau sourire.
-Bonjour, vous désirez commander quelque chose ?, demandai-je prêt à le noter sur mon calepin.
Il releva la tête vers moi avec un doux sourire un peu rectangulaire dessiné sur les lèvres. Mon cœur rata un battement. Je secouai la tête nerveusement afin de redescendre sur Terre et notai sa commande. Il avait une voix magnifique. Je repartis vers mon comptoir et me mis au travail.
Sans que je ne sache pourquoi, je ne pus m'empêcher de lancer de temps à autre quelques coups d'œil vers lui. Il était plongé dans un énorme bouquin. On pouvait avouer qu'il était certes très beau, avec ses cheveux bruns désordonnés qui caressaient le bord de ses cils, ses traits fins, ses yeux en amandes et ses lèvres fines. Ce n'était pourtant pas la première fois que je croisais un bel homme, mais il y avait chez celui-ci quelque chose qui m'avait intriguée dans son regard.
Quand j'eus terminé, je lui apportai sa boisson. Il me remercia toujours aussi souriant, ce qui eut un drôle d'effet sur mon cœur, et se remit à lire. N'ayant rien d'autre à faire, vu l'absence quasi-totale de client, je m'autorisai à l'observer de loin. Ses longs doigts fins parcouraient les lignes, ses yeux se mouvaient au rythme des mots. J'étais comme captivé. Il releva soudainement la tête et capta l'attention que je lui portais. Bien que gêné, je ne pus détourner les yeux, j'étais comme prisonnier de son regard. Un grand sourire s'esquissa sur ses lèvres. Notre échange silencieux me parut durer une éternité. C'était comme si il était capable de lire en moi, tel que le livre qui reposait maintenant contre sa cuisse. Le monde autour s'effaçait peu à peu, le temps semblait s'arrêter. Je sentais mon cœur battre furieusement contre ma poitrine.
Mais notre bulle éclata lorsque j'entendis la sonnerie du téléphone. Alors que je me tournais pour attraper le combiné, je sentais néanmoins ses yeux posés sur mon dos.
Le reste de l'après-midi s'écoula trop rapidement à mon goût. Parfois nos regards se croisaient, comme attirés l'un vers l'autre tel des aimants.
Et puis vint le moment où il se leva et se dirigea vers le comptoir afin de régler sa note. Aucun mot ne fut prononcé, seuls nos yeux communiquaient. Il me donna un billet et avant même de pouvoir lui rendre sa monnaie, il avait déjà disparu.
Le lendemain, je revins au travail, plus joyeux que jamais, avec l'espoir secret de revoir cet inconnu. Je guettais la porte à chaque fois que la cloche sonnait, ma déception augmentant au fil du temps. Pourtant je ne savais rien de lui, ni même son prénom, alors pourquoi avait-il cet effet sur moi ?
Au moment où je me résolvais à essayer de l'oublier et de me concentrer un peu plus sur mon travail, il réapparut. Il s'assit à la même place qu'hier, cette fois-ci sans aucun livre en main, attendit patiemment que je vienne vers lui. Comme la dernière fois, nous reprîmes nos petits jeux de regards, des sourires échangés, et laissa à nouveau la monnaie derrière lui, en s'éclipsant sans bruit. Et il revint à nouveau le jour d'après, et encore celui d'après.
Ce jour-là, je pris la décision d'aller enfin vraiment lui parler. Il entra et s'installa à sa place habituelle. Je saisis mon courage à deux mains, le cœur tambourinant, et avant même d'avoir prononcé un seul mot :
-Avant que vous ne preniez ma commande, est-ce que je pourrais connaitre votre prénom ?, me demanda-t-il.
-Je...m'appelle...euh...Jimin, bafouillais-je surpris.
