— Gemma Discorpe !
Mon nom résonne dans le couloir de l'Institut. La jeune femmme qui vient de m'appeler est toute de nacre vêtue, symbole qu'elle appartient aux Opal. Bien sûr, ce sont les seuls encore assez humain pour s'occuper de nous autres, les Orphelins ; ceux qui ne sont pas assez bien pour les Familles.
— Mademoiselle Discrope ? répète-t-elle.
— J'arrive, j'arrive, je grommelle.
Observée par les autres personnes se trouvant dans la salle d'attente, je me lève et je rejoins la porte, à l'opposé. Je laisse les regards étonnés, presque dédaigneux glisser sur moi, comme des gouttes d'eau. J'en ai l'habitude, après tout. Je sais que je suis un cas à part. Je suis seule ; ordinairement, les Orphelins subsistent en familles, sans majuscule, celles-ci.
On m'invite à entrer dans une autre pièce, aux murs blancs et simplement meublée d'une table et d'une chaise, puis on me demande de m'assoir et de me tenir prête. Je m'exécute sans rechigner – une fois n'est pas coutume –, ayant conscience des enjeux potentiels de ce test.
Je commence à taper du pied nerveusement, lorsqu'on m'amène un paquet de feuilles ainsi qu'un stylo. Un bip résonne dans la pièce, la blonde qui jusque là est restée à l'écart ouvre une porte, et entre dans la pièce voisine, tout en me lâchant :
— Vous avez une heure, bonne chance.
J'esquisse un sourire des plus ironiques, avant de m'atteler à la tâche. Une heure, c'est peu pour répondre aux cent questions, et ça passe très vite. Je le sais pertinemment, étant donné que cette année marque mon sixième Examen ; j'ai eu dix-huit ans le mois dernier.
Mon stylo semble voler sur le feuille, alors que mon cerveau tourne à toute allure. Quel est la Famille contrôlant la justice ? Les Quartz, pardi ! Et qui régit la politique ? Les Eben, bien sûr ! J'arrive maintenant aux mathématiques, qui me causent un peu plus de difficultés ; bien que j'ai réussi à, disons, « emprunter à long terme » plusieurs livres d'histoire, ceux concernant les matières scientifiques ont toujours été plus difficiles à voler, car plus prisés, notamment par les Aventurine.
Les minutes défilent telles des secondes, et la cloche m'interrompt alors que j'entame à peine la huitième feuille. C'est deux de moins que l'année dernière. Je jette rageusement mon stylo, et me maudis une fois de plus de ne pas être parvenue à changer la donne.
La jeune femme revient, et constatant mes résultats plus que médiocres, me délivre un sourire désolé. Du moins, je suppose.
— Merci de votre participation. Vous pouvez passer à côté pour les examens médicaux. Bonne journée.
Sans me laisser le temps de répondre, elle se saisit de mes feuilles et retourne dans la salle d'attente, pour inviter une autre personne à prendre ma place. Quant à moi, je m'exécute bien gentiment et entre dans la pièce voisine, toute plein d'instruments médicaux ; électrocardiogramme, ordinateur, sans compter les ustensiles dispersés ça et là.
Le médecin, un homme brun d'âge mûr, Opal lui aussi selon la couleur de sa blouse, m'interpelle :
— Bonjour Mademoiselle. Prenez place, on va commencer.
Je m'installe sur la planche d'auscultation, et il commence à m'examiner. Il me prend ma tension, vérifie les battements de mon cœur – qui danse toujours la samba après mon stress post-test –, regarde mes yeux, mes oreilles, et termine par une prise de sang.
On pourrait trouver ça idiot, que les Familles s'occupent autant de nous, alors que nous ne sommes rien, mais c'est avant-tout une initiative des Opal ; éviter une pandémie générale commence par essayer d'arranger l'état de santé des Orphelins. À moitié peine perdue, mais c'est l'intention qui compte, non ?
Le médecin retire l'aiguille de ma peau, et m'invite à récupérer mes maigres possessions.
— Très bien, vos résultats vont seront communiqués ultérieurement, récite-t-il selon la formule. Vous pouvez partir. Bonne journée.
Je ressors de la pièce, tentant de calmer les battements effrénés de mon cœur, avec un mauvais pressentiment ; j'ai l'impression d'avoir raté. Mes résultats aux Examens ont toujours été passable, et ne m'ont jamais permis de me sortir de cette misère. En fait, les résultats aux Examens sont toujours passables et ne permettent jamais rien. Je ne vois pas pourquoi cela changerait subitement.
Après avoir quitté le bâtiment, je m'engage dans la première ruelle, afin de regagner mon Quartier. Chaque Famille possède le sien, rutillant à l'instar de pierres précieuses.
Soudain, j'entends des pas derrière moi. Je fais volte-face et constate que deux hommes vêtus de noirs m'ont pris en filature. Aussitôt, j'accélère le pas, sans courir pour autant ; j'ignore pourquoi ils me suivent, mais ce n'est jamais bon signe. Une course-poursuite s'engage alors, parmi ces ruelles que je connais si bien. Je vais m'en tirer. Je m'en tire toujours. L'adrénaline parcourt mes veines, et m'aide à poursuivre, lorsque ma respiration se fait de plus en plus haletante ; mes poumons me brûlent, et chaque pas est une torture.
Malheureusement, ces mystérieux individus ne semblent pas lâcher non plus, et, déconcentrée et épuisée, j'effectue une mauvaise manœuvre qui m'amène au fond d'une impasse. Je suis piégée. À moins d'escalader le mur, je suis faite comme un rat.
Les deux hommes me rejoignent en quelques secondes, et je ne peux que capituler. Je peine à retrouver mon souffle, mes mouvements sont presque saccadée, et je m'effondre au sol.
— Je... je capitule, vous avez gagné, je parviens à déclarer entre deux expirations.
Sans broncher, ils s'approchent de moi, et me tendent la main, dans un geste presque fraternel. Étonnée, je fronce les sourcils et les fixe avec méfiance.
Ce n'est qu'alors que je remarque la couleur de leur cravate, qui dépasse de la veste, et me permet de deviner leur Famille. Nacrée.
— Gemma Discorpe ? Venez avec nous. Vous êtes une Opal.
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Opaline
Science FictionGemma Discrope vit dans une société divisée entre cinq clans. Cinq Familles qui dirigent le pays et monopolisent la plupart des richesses. Elle fait partie de ces Orphelins dont le seul crime est de ne pas être né au bon endroit. Abandonnée par ses...