L'homme éternel

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24 octobre 2014

Une légende ancienne raconte qu'à la naissance, un ange dépose un doigt sous le nez de l'enfant afin qu'il oublie tout de sa vie précédente. Ce qui explique la présence d'une marque que chaque Homme sur terre possède entre la bouche et le nez. Tous les humains ? En fait, non.

Depuis la nuit des temps, un groupe de personnes échappent à cette règle. Ils se font appeler « les éternels » par les premiers hommes. Rapidement, ce groupe est oublié, car ceux qui les nommaient ainsi ne s'en souvenaient plus après leur mort. Le principe est simple : chacun de ces hommes et femmes possède cette incroyable capacité de se souvenir de leur vie précédente et du processus de leur mort et de leur naissance. S'agit-il d'un oubli ? Non.

Si ces humains « éternels » existent, c'est pour une bonne raison : la protection et l'entretien de la mémoire collective, des légendes populaires et des croyances sociales. Si les légendes et les croyances ont la vie dure, c'est bien grâce à ces humains sélectionnés avec grand soin par les grandes instances qui créèrent et gèrent encore aujourd'hui ce qu'on appelle ici-bas : l'Univers. Quelle est l'importance de ce groupement ?

Elle est fondamentale ; sans la mémoire, le monde serait un perpétuel recommencement et serait parfaitement cyclique. Alors qu'aujourd'hui, même s'il y a une tendance naturelle à la répétition, ces hommes veillent à la perpétuation de la mémoire humaine et permettent à l'humanité d'avancer à chaque génération.

Comment est-ce que je connais les « éternels » ? C'est bien simple : j'en suis un.

Je suis né pour la première fois en 1659 dans l'actuelle Belgique, plus précisément dans l'Ardenne, à Bastogne. Issu d'une famille aisée à cette époque, je me suis vite instruit aux connaissances du vieux continent et du Nouveau Monde. Je me suis également intéressé aux découvertes que l'on faisait dans les mondes africains et orientaux. C'est à l'âge de 15 ans qu'un vieil homme est venu me trouver dans la rue et m'apprit qui j'étais et pourquoi la connaissance m'intéressait autant. Ma première réaction a été de lui rire au nez. Mais je n'ai cessé de me confirmer cette capacité lors des études que j'effectuais à Paris. Le jour de mes 20 ans, je suis reparti vers ma ville natale, décidé d'aller à la rencontre du vieil homme qui m'a raconté son histoire en m'annonçant quelle sera la mienne. L'homme se nomme Noé. Sa première naissance date de l'époque de Ramsès I qu'il a connu en a même été un de ses serviteurs. Je suis étonné par la connaissance de l'humain qu'il possède et je me demande si j'en suis capable comme il me l'affirme.

Je suis mort avant lui, lors d'une révolte populaire en 1689, écrasé par un carrosse dont les chevaux avaient été blessés par une balle du régent décrié.

La malchance a continué de s'abattre sur moi : à chaque guerre que l'Europe a connue, je suis mort d'une façon plus bête que la précédente. Ainsi lors de ma dernière mort, en 1918, à deux jours de l'Armistice, je suis décédé d'une crise cardiaque à cause d'un ami qui a la bonne idée de me faire peur en faisant exploser son sac en papier derrière moi lors d'un tour de garde. Mais cette malchance, je ne l'ai pas gardée. Ma vie actuelle a commencé en 1922 en Amérique, dans la ville de Washington. Mon père était aviateur et je le suis devenu aussi. Ainsi j'ai pris part à la Seconde Guerre mondiale dès 1941, volant pendant 4 ans partout dans le monde. Je me suis battu en Corée et au Vietnam, prenant ma pension en 1975 après un accident de voiture qui me prive de l'usage de mes jambes depuis lors.

Je suis très vieux désormais, j'ai fêté hier mon 92ème anniversaire entouré de ma femme, de mes enfants, mes petits-enfants et de mon unique arrière-petit enfant, né il y a un mois. Je me sens fatigué, mais le sommeil ne vient pas. La pleine lune éclaire tout le quartier endormi et ma charmante épouse ronfle paisiblement. J'ai enfin le courage d'écrire et de recueillir ma mémoire après 355 ans d'accumulation d'évènements en tout genre. Oui, je sais, mon travail sur terre est de conserver cette mémoire et de la confier au monde. Mais ce que j'ai oublié de vous dire c'est qu'on a 400 ans pour commencer ce boulot, 400 ans pour une éternité c'est comme attendre 5 minutes avant de commencer à rédiger un essai.

Une éternité pour vivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant