Celia

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« Celia vainqueur. » avait crié l'arbitre pour couvrir le brouhaha qui avait envahi la salle de combat.

J'avais alors levé la tête, sans signe de fierté, humble comme je tente de l'être tous les jours depuis que j'ai franchi les portes de cet endroit lugubre. Cette bâtisse s'élève sur cinq étages, faite de pierres lourdes, sûrement moyenâgeuses. Tout est froid ici, la pierre, le peu de lumière dont le château dispose, les enseignants, les dortoirs. Certaines fois je me suis demandé pour quoi on nous préparait. Un monde froid qui ressemblerait à la vie que nous vivons depuis que l'on a découvert que nous n'étions pas « tout à fait » comme les autres ?

Je descends du ring et me pose contre le mur du fond, derrière la foule agitée. Noé vient s'asseoir à mes côtés sans dire un mot. Puis Antide nous rejoint, suivie de Penelope et d'Estien. Lorsque Lilia et An s'asseyent en bout de rang, nous sommes enfin au complet. Je pense pouvoir assurer que l'intégralité des personnes que je supporte se trouvent assises à mes côtés. Pour le simple fait qu'ils ne parlent pas, ne posent pas de questions inutiles de type « d'où tu viens ? » ou encore « Comment es-tu arrivée ici ? ». Concernant Noé, c'est à l'heure actuelle la seule et unique personne au courant que je m'appelle en réalité Luna et non Celia, et qui n'a aucune idée que je sais qu'il sait. Enfin, vous m'avez compris. Lorsqu'à mon arrivée j'ai été recensée, j'ai soudainement, à la seconde de dire mon prénom, décidé d'en donner un faux. Un instinct. J'ai laissé tomber la gourmette gravée à mon nom histoire de me débarrasser de toute trace de mon identité. Je l'ai retrouvée sous mon oreiller après sa visite de courtoisie forcée par les membres du comité d'accueil. D'ailleurs, savez vous combien c'est dur pour une enfant de ne pas avoir une seconde à elle après avoir été séparée de ses parents ? J'imagine que ça forge notre mental comme ils le souhaitent. Pendant des jours, j'ai été trimballée de salles en salles, pour mesurer l'étendue de mes capacités et de mes futures capacités, et me placer au bon endroit avec les bonnes personnes. Je cite « elle évoluera plus vite que la norme, mettez la avec les costauds, elle n'aura pas besoin de beaucoup de temps d'adaptation tout ira bien ». Tu parles, je me suis faite casser la gueule pendant une semaine, le temps que mes incroyables capacités évoluent. Je ne me suis fait aucun ami, du moins je ne crois pas considérer qui que ce soit ici comme un ami. Dés lors que j'ai franchi les murs du château j'ai su que chacun d'entre nous aurait à se hisser en haut à n'importe quel prix, n'importe quel sacrifice serait à faire. Chaque année passée, l'on nous répète qu'à l'aboutissement de nos 11 ans d'enseignement, nous ferons nos preuves et auront ce que nous méritons. Nous avons, dés la première année, choisi notre section, il y en a quatre : la section économique, la section commerciale, la section militaire et la section philosophique. Concernant cette dernière section, personne d'ici ne sait ce qu'ils sont devenus, ni où ils sont maintenant. Nous les considérons tous comme des disparus, ou inutiles. La section économique fait sortir ce que le monde commun appellerait des banquiers, des économistes, les personnes qui gèrent l'économie de cet endroit et sûrement de tout un monde que j'ignore. La section commerciale forme des commerçants, des professeurs, ceux qui fournissent l'argent, ceux qui vendent, apprennent, et sûrement quelques uns de nos formateurs. Et la section militaire, elle, forme les combattants, les gérants de missions de différents types, des armes, de la sécurité. Vous l'aurez comprit, moi et les six autres assis à mes côtés faisons parti de cette section. Ce qui veut dire qu'à la fin de nos 11 années de formation nous serons classés selon notre force physique pour savoir quel type de missions nous assurerons. Nous sommes tous en onzième année. D'ici quelques moi nous seront affectés à nos services.

Le gong retentit, nous partons tous en direction de la salle suivante, où nous suivrons tous le même cours. J'imagine que c'est le pire dans ce centre formation, le manque d'innovation. Je suis les mêmes cours depuis 11 ans, avec les mêmes personnes (sauf exception pour cause de mort ou de départ en mission en tant que renfort, les plus faibles d'entre nous sont les futurs enseignants de combat).

A la fin de la journée, je retrouve Estien et Noé dans notre dortoir, pour le court moment de répit dont nous disposons: le sommeil. Ils m'ont placé avec eux non par manque de place mais par soucis d'adaptation à la gente féminine. Ils ne m'ont pas vraiment demandé mon avis, ils m'ont défini comme incompatible avec les femmes. Cette colocation ne m'a pour autant jamais gênée. Nous sommes tous silencieux, forts et nous ne nous occupons pas les uns des autres. J'entreprends donc, sans plus de cérémonie, de me glisser dans mon lit et de me répéter les enchaînements que je ne connais pas encore avant de sombrer.

Réveillée en sursaut par des sanglots, je me lève, le cœur battant la chamade. La pièce est entièrement noire, je n'entends aucun signe de vie, même pas les sanglots qui résonnaient un peu plus tôt. La respiration anormalement bruyante de Noé ne se fait pas entendre, et j'ai soudain l'impression d'avoir été transportée hors du dortoir. Après avoir calmé les battements de mon cœur par de grandes respirations, j'entreprends de me rasseoir sur mon lit, mais l'emplacement de mon lit est vide, je tombe donc par terre, sur une surface humide et mousseuse. Je tâte de ma main droite le terrain, je suis dehors sûrement dans une surface boisée étant donné que le sol est recouvert d'une couche important de mousse. Soudain, les sanglots retentissent à nouveau. Je me concentre sur ceux-ci pour tenter d'identifier leur origine. C'est une voix féminine, se trouvant à ma droite. Me relevant doucement, je tâte le sol à chacun de mes pieds. Lorsqu'enfin je m'approche de cette voix, je pose le pied dans une surface mouillée. Y posant l'autre pied, je me rends compte que l'eau monte de niveau à chacun de mes pas. J'hésite à continuer ma route, peut être y-a-t-il des crocodiles dans cette surface d'eau ? Si je me trouve dans une forêt ou dans une jungle, je ne devrais pas avancer. Mais, dans le noir complet, eau ou terre, je ne survivrais pas longtemps. D'autant plus que les sanglots ne sont pas loin, juste devant moi. Je décide à contrecœur de m'enfoncer dans l'eau glaciale. L'eau monte jusqu'à la moitié de mon bassin, en dessous du peu de poitrine que j'ai puis arrête de monter. Lorsque j'arrive à proximité des sanglots, une simple lumière brille. Et malgré le halo de lumière qu'elle produit, tout reste noir, comme s'il n'y avait strictement rien autour, qu'il n'y avait que le vide, un trou noir. Intriguée, je m'approche encore, ne faisant pas attention aux signes de paniques de mon corps et aux consignes de survie que j'ai apprise. Lorsque je suis toute proche de cette lumière, les sanglots retentissent comme des hurlements à un centimètre de mes oreilles. Je comprends enfin qui pleure. Physiquement, c'est la lumière, mais cette voix est la mienne. Ce sont mes sanglots. Toujours plus forts alors que je ne bouge pas d'un poil, je tente d'attraper la lumière, qui me glisse entre les doigts et la panique envahit mon corps. Les sanglots ne cessent de s'intensifier et la lumière ne succombent pas sous mes doigts, elle ne se transforme pas en voile de soie, elle ne se laisse pas attraper. Je ne sais pas exactement ce qui me donne envie de courir le plus loin possible. La peur ou le fait que la seule chose qui ne m'ait jamais glissé entre les doigts ne se laissent plus attraper ? Mes jambes ne bougent plus, je ne peux plus courir, je ne peux plus bouger. Mes bras attrapent mon visage, me bouchant les oreilles, j'ai envie de hurler. Je m'entends pleurer, pleurer, pleurer. Je me recroqueville sur moi-même, dans l'eau qui engourdit tous mes membres, comme attendant de l'aide qui ne vient pas. Soudain, mes yeux s'ouvrent, je me retrouve à côté de mon lit, la couverture à mes pieds. Pleine de sueur, je ne bouge pas, j'attends que mon cœur reprenne un rythme normal, sinon je réveillerais les autres avec des gestes non maîtrisés. Je remarque que la respiration de Noé ne s'entend pas, qu'il ne dort pas mais ne me le dit pas. La lumière de la lune passe par la fenêtre, illuminant le milieu de la pièce. Une fois remontée dans mon lit, j'ai tout juste le temps de me rappeler que la nuit dernière ce rêve avait déjà hanté ma nuit avant de m'endormir à nouveau.


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