Consumé(e)s

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I

La première nuit, la pluie frappait si fort contre le carreau que même mis à l'abri on ne se sentait nullement en sécurité. Des torrents tombaient du ciel et rien ne semblait pouvoir les arrêter.

Thomas avait froid, il s'était enveloppé tant bien que mal dans sa veste en tweed et s'était recroquevillé contre le mur d'un vieux bâtiment désaffecté, essayant, à défaut de trouver de la chaleur, de rester au sec.

Isaac avait lui aussi choisi l'entrepôt pour se protéger de l'orage. Il y était entré aux alentours de deux heures du matin, trempé jusqu'aux os et haletant.

D'abord, ils s'étaient regardés comme deux âmes en peine, déçus d'avoir à partager leur cocon d'un soir. Puis finalement, Isaac avait engagé la conversation en se perchant sur ce qu'il restait d'un transpalette sombre et poussiéreux.

Ils échangèrent quelques banalités tandis que le garçon perché fumait ses cigarettes et que Thomas faisait tout son possible pour préserver sa chaleur corporelle.

Isaac révéla qu'il avait dix-neuf ans et qu'il vivait encore chez ses parents. Son escapade nocturne à travers la tempête résultait d'un accrochage sévère avec son père et du besoin de prendre l'air. Thomas, de son côté, expliqua comment il s'était retrouvé à la rue deux ans plus tôt, peu après le suicide de sa mère et la dépression nerveuse de son père.

Les deux garçons se confièrent beaucoup, plus qu'ils ne l'auraient pensé, comme si l'heure tardive et le ronron continue de la pluie contre le métal au dessus de leur tête les poussaient à la confession.

Ils discutèrent toute la nuit, firent connaissance et partagèrent des bribes de leur existence.

Vers six heures du matin, sans avoir fermé l'oeil, ils partagèrent ensemble les deux dernières cigarettes qu'Isaac avait emmené ce soir là. Lorsque le soleil se leva, lentement, ils se promirent de se revoir, sans pour autant se donner de rendez-vous. "Je n'ai nul part où aller", avait rappelé Thomas en faisant le bilan de sa propre vie, et d'ajouter : "Je serai ici. Peu importe quand tu reviendras".

Et Isaac était reparti, sans briquet et sans tabac.

VIII

La deuxième nuit, une semaine jour pour jour après la première et sous un ciel nuageux, Isaac était revenu et Thomas était bien là. Des traces noires marquaient le sol, restes de petits feux créés dans l'espoir de réchauffer le corps du vagabond.

Les deux garçons se serrèrent vivement la main, Thomas fit s'embraser quelques branches ramassées durant le jour, et ils s'installèrent l'un en face de l'autre.

Isaac raconta comment la dispute avec ses parents avait continué à dégénérer, à tel point qu'il avait emménagé chez une amie pour laisser la tempête retomber. Il raconta aussi que sa grand-mère avait pris son parti et qu'elle lui donnait de l'argent pour qu'il puisse s'acheter à manger. Cependant, Thomas n'osa demander de quoi étaient partis les frictions, préférant écouter ce que son ami acceptait de partager, évitant ainsi de le pousser à une confession qu'il ne souhaitait peut-être pas.

Grâce à l'argent de la grand mère, ils partagèrent des cigarettes autour du feu et un sandwich au poulet ramené spécialement pour leur soirée.

Thomas, quant à lui, se confia un peu plus sur son passé, sur ses projets avortés prématurément. Comment son père avait sombré d'abord dans l'alcool, puis dans la drogue : comment le décès de sa femme l'avait rongé et détruit. Thomas expliqua que la dépression s'était étalée sur deux ans. Le malheureux temps pour qu'il devienne majeur et qu'il n'ait plus besoin d'être encadré légalement par des assistantes sociales. Il raconta qu'un soir d'été, alors qu'il revenait de la rivière et que ses amis l'avaient déposé en voiture devant chez lui, il avait trouvé son père, mort, victime d'une overdose. Comment de là, il s'était laissé sombrer et disparaître à son tour.

Consumé(e)s [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant